Andrée BARRET : L'Orchidée




I

J'avais bien deviné : cette fleur était une orchidée.
Ma première orchidée.
C'est bien une orchidée ai-je pourtant demandé - scientifique - au livreur fleuriste
Je crois a-t-il dit
Il croyait. Blasé.

II

Mais que m'importait, j'emportais ma merveille, et tout aussitôt l'installais -inutile de demander où : dans le vase bleu - celui qui a la forme d'une cornue, un peu.

III

A midi cependant, j'ai consulté le dictionnaire. "Orchidée : voir orchidacées" était-il dit. "De orkhis, en grec testicule. Famille la plus nombreuse du règne végétal. On en compte plus de cinq mille espèces." - D'après la planche illustrative, celle-ci, mauve-pourpre sur fond blanc, pouvait bien être une ou un de ces cattleyas que Swann arrange au creux du décolleté d'Odette.

IV

Mais, dans l'après-midi, je me suis tout à coup souvenue de certains traits - coupures, éclaboussures - comme traits de sang de chairs griffées - au fond de chacune des corolles. Et il m'est venu -d'où, sinon de sa sonorité ? un écho d'un vers d'Apollinaire : Orchidée ô sœur vénéneuse.

V

Aussi, le soir, revenue à la fleur, et la voyant effectivement tellement charnelle - encore dressée, mais déjà accablée sous le poids de sa luxuriance - je n'ai pas trouvé d'autre issue - pour moi et pour elle- au supplice d'une pareille beauté - que de la mettre en pièces moi-même.

VI

"Orchidée (ai-je donc écrit) - orchidée, idée d'or - l'or de ta première syllabe - l'or qui descend - fraîchement jailli semble-t-il des anthères- le long de la belle lèvre du plus beau de tes pétales, - cet or dont la muette cascade m'apparaît à présent comme une coulée de verbe - laisse-moi, je t'en supplie - le détacher de ton support mortel !


Andrée BARRET