Pierrot la Hure

  • Gilles Laporte
  • 1983 | 1er roman publié


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Date et lieu

A Igney et environs, en Vosges, vers le milieu du siècle dernier.

Sujet

"Un jour, mon Pierrot, nous aurons découvert que l'homme est bon, envers et contre ceux qui ont changé la spontanéité de l'amour en vaines intrigues de métier… Il nous faut partir, mon Pierrot…"

Avec le calme mystique du goûteur d'eau de vie, le Pierrot fait jouer la virole de cuivre qui fixe le manche de bois au métal du couteau.
"Nous allons partir, mon oiseau…". (4ème de couverture, 1983).

 

Édition

Pierrot la Hure

  • 1ère édition, 1983
  • Épinal : Flash 88, II/1983.
  • 21 cm, 133 p.
  • Préface de Henri Vincenot.
  •  

    Première page

    Il était une fois, par chez moi, dans les Vosges, un homme jeune, si jeune que son visage ne lui donnait pas d'âge.

    Il vivait dans un petit village aux senteurs d'aubépine avivées par des imprévisibles respirations de la Moselle.

    Rien ne le distinguait des autres hommes jeunes.

    Il avait ce qu'ils avaient, manquait de ce qui leur manquait.

    Il était né là, au milieu des prairies grasses veinées d'affleurements calcaires, au cœur des forêts d'immenses futaies riches de mille présences fugitives, sur ce bord de rivière que la bise d'hiver transforme en corridor infernal.

    Il avait grandi comme grandissent nos hêtres, sans précipitation.

    Il avait forci comme forcissent les branches de nos chênes, tout d'une pièce, d'une matière dure et bien solide, dense d'une vie lentement révélée, puis offerte.

    Il avait appris à parler comme on apprenait autrefois, au contact des anciens, par les questions qu'il avait posées à leurs souvenirs.

    Il avait appris à lire en respirant l'odeur de vieux dans des livres aux pages jaunies, dans des textes de légendes et d'épopées.

    Les jours s'effaçaient comme s'effaçaient les chapitres pénétrés, vidés de leur substance.

    Enfin il avait appris à écrire, avec une bonne plume de métal, sur un papier de pur chiffon.

    Sa science, il l'avait apprise par elle-même en tutoyant tout le monde : "Il faut provoquer les choses pour les bien connaître, se plaisait-il à dire, les forcer, les bousculer pour qu'elles se livrent pleinement, les surmonter comme l'on surmonte le galop d'un cheval effrayé afin qu'elles vous acceptent comme maître, seul et vrai maître !".

    Ainsi prenait-il le temps de regarder décroître le soleil, s'épanouir la fleur, d'écouter chanter le coq, trait dans la brume, rouler le tonnerre, de sentir se fâcher le ciel…

    Il était parvenu à une bonne connaissance des êtres, des matières et des phénomènes.

    Un jour, aux aurores, il avait quitté le village, ainsi qu'il le faisait chaque matin. Il avait lentement gravi la rue haute, puis s'était éloigné vers la forêt. Il n'avait pas reparu de la journée. Personne ne s'était inquiété outre mesure ; souventes fois avait-il agi ainsi. Il n'était pas encore en saison de travail et son temps s'occupait à la promenade, à l'imagination. L'un ou l'autre des paysans du village le rencontrait parfois, en campagne, et le saluait d'un geste court d'économie auquel il répondait de même sorte.

    Mais, cette fois, nul ne l'avait rencontré !

     

    Dédicace - Épigraphe

    Dédicace : A mon amie Jutta Cuny. Tu avais lu ce livre / quelques semaines avant de disparaître. / Tu l'avais trouvé beau… / Aujourd'hui, il est à toi… / définitivement.

    Épigraphe : Ressusciter la mémoire, / c'est appeler à l'action… (Projet socialiste pour la France des années 80).

     

    Revue de presse

    La Liberté de l'Est

    1983. Félix VAZEMMES

    Pierrot la Hure de G. Laporte
    ou Le Nouveau Romantisme

    J'ai dit, déjà, dans la Revue Lorraine populaire, tout le bien que je pensais de cet écrivain, mais il ne me semble pas sans intérêt de revenir sur un aspect particulièrement intéressant du talent de Gilles Laporte. S'agit-il d'un retour au romantisme de façade, grandiloquent et ridicule si souvent des Lamartine ou des Hugo ? Non, nous aimons surtout ces auteurs-là quand ils expriment les passions qui les dévorent. Toute licence, sauf contre l'amour, disaient Barrès et les graffiti sur les murs de Paris en 1968. Je savais que nous retournerions un jour à l'humain, après avoir compris l'insensibilité, la perversion du robot dont se sert l'homme, et qu'il devient peu à peu. L'homme n'aurait-il plus droit à l'amour, aux jeux de l'amour et du hasard, aux exaltations d'un René, ou d'un Werther ? "Oh ! le meilleur de mes amis, qu'est-ce donc que le coeur de l'homme ?"

    Voici Pierrot la Hure, un livre dur, émouvant, sauvage comme je les aime ; il est écrit dans un style nerveux, avec des images d'un gothique flamboyant. Je me souviens, à son sujet, des ouvrages qui bouleversèrent ma jeunesse, déjà si lointaine, et que celui-ci rappelle : Werther, bien sûr, mais surtout les très oubliés Sous les tilleuls d'Alphonse Karr et Le Verger fleuri de Catulle Mendès, dont la fraîcheur n'a pas fini de baigner mon front. Parenté de thèmes plus que d'esprit ; romantisme d'un temps qui n'ose plus.

    Dans cet ouvrage, les sentiments les plus purs, les plus profonds mènent aux situations les plus tragiques ; la vie est là, contrariante, étouffante... Je crois, sincèrement, que tout le monde devrait lire ce roman d'un auteur particulièrement inspiré, et qui a incontestablement quelque chose à dire, une protestation à élever - les jeunes, surtout, qu'il libérera : il est salubre !

    Qui donc oserait dire qu'on ne meurt plus d'amour ? Il vaut mieux mourir d'amour que de haine dans une injuste guerre. Dante disait qu'il ébranlait les astres : nous savons, nous, qu'Éros est notre maître, et que sans lui nous sommes Marsyas écorché vif. Qui n'a pas - dites-moi - rêvé d'un amour plus fort que la mort. Le décharné de Bar-le-Duc élève son cœur au-dessus de son corps pourri. Marie-Ange et Pierrot, c'est Tristan et Iseut. Ils meurent tous deux au faîte d'une extase de l'âme, pitoyables, attachants, grandis, sublimes ! Vous qui tisonnez les cendres de vos souvenirs, oubliez-vous la robe qui, un jour, passa dans votre vie pour la parfumer à jamais ?

    Lisez, ah ! lisez ce livre qu'il n'est pas permis d'ignorer. Il est beau, sobre dans sa présentation, imprimé avec des caractères bruns et tendres comme le sang des deux héros. S'il n'a pas de prix, c'est qu'il n'y a plus, sur cette terre, ni bon goût, ni esprit, ni justice.

     


     

    Page créée le vendredi 9 janvier 2004,
    mise à jour le dimanche 21 mars 2010.