Le Moulin du Roué


  • Gilles Laporte
  • 1984 | 2ème roman publié

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Date et lieu

En 1984, dans les Vosges.

Sujet

1984… Un coin des Vosges… Une vallée perdue entre plaine et massif et… un moulin. Le Moulin du Roué ! Sa roue tourne depuis des siècles sous les guirlandes d'eau descendues de la colline. Et la farine coule, onctueuses, blanche et odorante, des mains de Bernard Thomas, le meunier.

Tout est bien ! Tout est calme ! Même le temps avance sur la pointe des pieds… Jusqu'à l'arrivée du docteur Pozan, venu tout droit des grisailles de Paris… (4ème de couverture, 1984).

 

La petite histoire... Le titre complet de ce roman est : Le Moulin du Roué ou la Volonté d'être.

 

Édition

  • 1ère édition, 1984
  • Thaon-les-Vosges : imprimerie Dieudonné, octobre 1984.
  • 21 cm, 258 p.
  • Illustrations : Gilles Laporte (couverture), Philippe Leher (portrait).
  • 20 exemplaires hors commerce numérotés de I à XX et 99 numérotés de 1 à 99 sont illustrés d'une gravure sur bois de l'auteur tirée sur papier de Lana filigrané.
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    Première page

    - La quille, bon Dieu, la quille ! La quille !

    Vingt bouches béantes hurlent des guirlandes de vapeurs éthyliques. Le vacarme est assourdissant, à peine couvert par les heurts de la voiture sur les aiguillages.

    - La quille, la quille !
    La quille viendra
    Les bleus resteront
    Pour laver les gamelles…

    Un soliste improvisé entonne les premières mesures. Le groupe enchaîne, en cascade et vomissures sombres reprises d'une langue à l'autre. Plus la gorge se serre d'effort et plus le trompe l'œil d'une liberté d'opérette se renforce ! Ils sont suspendus corps à corps, accrochés à la même dérive, rivés d'illusion au bruit qu'ils transforment en preuve d'être. Le plus grand martèle de son talon le sol poisseux. Son regard ravine la foule des voyageurs. Par instants, il sourit, comme illuminé de l'intérieur… en étrange transparence. Puis la joue se tord, la main bat violemment par-dessus les têtes, agrippe une barre d'appui…

    - La quille, la quille !

    Les hurlements reprennent, plus denses, plus épais, plus gras. Être en nombre d'insolence donne parfois l'impression de posséder le monde. L'impression seulement…

    Les autres têtes sont blêmes, noyées dans les flots crus de lumière à néon. Elles s'inclinent, hésitent et se corrigent au hasard des imperfections de voie. Tous ensemble dans un même ballet mécanique… Tous poussés par les frémissements de la machine… Tous fermés aux regards qui se vont perdre en un dedans inexploré…Tous récupérés par un mouvement artificiel, curieux mélange d'aller-retour au déprimant parfum d'ensevelissement. Être là ce soir ; être là demain ! Dans ce même état stérile de chaussette retournée ! Jusqu'à l'usure !

    "Strasbourg - Saint-Denis"

    La rame aborde le quai dans un sifflement de serpent irrité, puis s'immobilise. Deux flots se croisent en se défiant. Même violence contenue. Même envie d'en finir !

    La course reprend à travers les tripes de la capitale, heurtée et coulée à la fois, battue de profondes pulsations qui sont autant de raidissements du sol. Métronome aux allures de feu follets, les lanternes dégoulinent sur la roche des parois, allumant des images fuyantes en formes de repères.

    Plus de groupe abusé par les trop nombreuses bières… Tous viennent de descendre. Un surprenant silence sur fond de ronronnement pneumatique étouffe la voiture. Les uns contre les autres, les uns imbriqués dans les autres, de l'échange des souffles au mélange des odeurs, de l'appui d'une forme aux larmes de sueur, ils sont là… Ils vont… ils viennent !

    " Bonne nouvelle "

    Nouveaux flots croisés, moins denses, plus pauvres, plus calmes aussi. Curieusement, la cadence des pas sur le bitume se ralentit à mesure que s'éloignent les gares ! Les trains ont toujours abîmé l'homme par leur obsession du temps. Le vrai pouvoir appartient probablement aux chefs de gares qui recèlent et protègent le grand sablier ! Jusqu'au déséquilibre !

     

    Prix littéraires

    Prix Erckmann-Chatrian 1984.

     

    Dédicace - Épigraphe

    Dédicace : A Gérard Dieudonné, imprimeur à Thaon-les-Vosges. Il aime le beau travail. Sans lui jamais ce livre n'aurait pu naître.

    Épigraphe : Le poète communie avec la vérité tandis que le savant l'approche péniblement (Jagadis Chandra Bose).

     

    Revue de presse

    L'Est républicain

    27 novembre 1984.

    Le choc de deux mondes

    Intrépide, la plume de Gilles Laporte file. Elle court de livres en recueil de poésie, de films en scénario de BD. Prolixe. Sans jamais se lasser, elle s'aiguise au sempiternel défi de prouver que l'osmose de l'esprit et du terroir peut générer des bijoux. Prix Moselly 83 de la meilleure nouvelle, privé pour une voix la même année du prix Erckmann-Chatrian, Gilles Laporte enclenche une nouvelle vitesse. Qu'il aimerait surmultipliée.

    Le Moulin du Roué, c'est l'histoire d'une rencontre. Entre une famille vosgienne, honnête, propre, rangée et un homme déstabilisé, qui se fuit de l'intérieur pour mieux se diluer. Le choc de deux mondes.

    D'un côté, la vie intérieure d'un fonctionnaire aigri mais lucide qui décide de changer de rêves en usurpant l'identité d'un chirurgien parisien. De l'autre, le vase clos d'une province étale incarnée par un mini-clan de meuniers agrippé dans les difficultés au tableau de ses références ancestrales. L'idée est bonne. Les pièces sont en ordre. A droite : l'agression insidieuse. A gauche : une citadelle morale prétendument inexpugnable. Feu !

    Gilles Laporte ordonne le jeu. A sa convenance. Avec l'amour des mots. En mêlant de larges plages de descriptions naturalistes à des réflexions sensibles, vraies, souvent émouvantes sur la condition d'homme.

    Même si ses personnages manquent quelquefois d'épaisseur et si leurs relations trébuchent sur un fil décidément lâche, le livre danse. Roule. Ploie sous les couleurs et les parfums qui font les bonheurs simples. Des bonheurs d'autant plus incandescents qu'ils peuvent être menacés par l'effroi, la duperie, la maladie ou la mort.

     

     
     

    Page créée le vendredi 9 janvier 2004,
    mise à jour le dimanche 21 mars 2010.