Les Dernières violettes de La Mothe

  • Gilles Laporte
  • 1997 | 4ème roman publié

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Date et lieu

De 1631 à 1645, à La Mothe, place forte lorraine, aujourd'hui en Haute-Marne (Champagne-Ardenne).

Sujet

1630. Anne de Boisdeville ne peut plus vivre à Nancy. Elle y a trop souffert. La peste et les Français ravagent la capitale du duché de Lorraine. Elle gagne La Mothe, berceau de sa famille où elle retrouve le ciel, la terre, les vignes, les gens de son pays et son amie Charlette Jacquin, la Charlette qui aime passionnément le beau Florentin, dit la Vertu Volontaire, officier de la garnison. Elle y retrouve aussi... les Français !
La Mothe, une ville de quatre mille habitants, perchée sur une "montagne" de Lorraine, face à la France...

La Mothe, une ville joyeuse et active avec ses halles, ses places animées, ses ruelles cachées sous les lilas, son moulin à vent, ses couvents, son chapitre, son église collégiale où chantent ses chanoines et ses citernes où dansent les filles.
La Mothe, convoitée par Richelieu qui a juré de la prendre afin de ruiner le duc de Lorraine Charles IV, rebelle à l'autorité de Louis XIII. Le cardinal vient d'y envoyer son armée et son chef de guerre le plus brillant, le maréchal Jacques Nompart de Caumont, duc de la Force, qu'accompagne un jeune militaire prometteur, un certain Turenne.
Il est persuadé que le siège sera de courte durée... Mais il ne connaît pas, pas encore... les femmes de La Mothe ! (4ème de couverture).

 

Édition

  • 1ère édition, 1997
  • Paris : Éditions Eska, septembre 1997.
  • 24 cm, 444 p.
  • Illustration : Paul Flickinger (couverture), Antonio Gacia (feuillet marque-page : carte et plan de La Mothe).
  • Un troisième tirage est lancé fin 2005.
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    Première page

    Ce matin, Anne s'est levée plus tard que d'habitude. Elle a mal dormi. Pas seulement à cause des cris et des cavalcades de chevaux sur les pavés, ni des quelques coups de canon tirés du côté du bastion Le Duc - bruits familiers désormais depuis le retour de la guerre - mais à cause d'une douleur tenace au creux du ventre, accompagnée de nausées. Elle ne s'est assoupie que sur le matin, alors que l'aube filtrait déjà à travers les persiennes. A son réveil, elle s'est abandonnée aux ablutions à "l'eau d'ange", cette eau de senteur composée de musc, de civette, d'ambre gris et de bois de rose qu'affectionnait tellement sa mère. Dans les linges propres et parfumés, elle se sent mieux. Tellement mieux qu'elle en oublie les images de son insomnie. Elle ferme les yeux et se laisse aller.

    ***

    Venues de l'est, les troupes avaient déferlé sur des chevaux puants agacés par les taons. Puis la disette. Ceux qui n'avaient pas été éventrés d'un coup de pique mouraient de faim dans des caniveaux fangeux, les tripes nouées, leurs excréments comme linceul.

    Arrivée par le Xaintois, "la peste hongroise" avait isolé Vézelise, foudroyé Colombey, avant de faire une pause sur le Madon, à Bainville-aux-Miroirs. Depuis quelques jours, Nancy terrorisée commençait à compter ses bubons. Les médecins s'y dissimulaient sous de longues capes noires, couvraient leur visage de masques à bec de héron et rasaient les murs en évitant de respirer. Il fuyaient les humeurs viciées et les cadavres corrompus qui s'amoncelaient sur les pavés, faute de bras pour les enterrer. Ceux qui le pouvaient encore s'arrachaient à la ville, à ses loges des infectés, ses rats, ses râles, ses miasmes et sa pourpre fièvre chaude. Ils espéraient la campagne plus saine et la forêt, mais ne trouvaient que les bandes de mercenaires qui tiraient les filles des bras de leurs mères, violaient les unes et les autres, puis leur ouvraient le ventre et la gorge sous les yeux des hommes qu'ils avaient déjà percés de leurs lames.

    ***

    Anne s'approche de la fenêtre. Elle frissonne.

    En bas, dans la rue, la foule piétine déjà.

    Partout le blé manque, et le lait et le vin. Les champs abandonnés ne donnent plus ni graine, ni légume. Les troupeaux oubliés ont été décimés par les pillards.

    En ces années noires, la Lorraine survit dans les plus grandes souffrances tandis que, à la tête des armées, son duc Charles IV court au secours de l'Empereur assailli par le roi de Suède, allié de la France.

    Catholiques et protestants n'en finissent pas de se rendre des comptes que la Sainte Ligue n'a su régler. Le bon duc Charles III n'a pu réaliser son rêve de monter sur le trône de France, ou d'y faire monter son fils Henri. Charles, quatrième du nom, a donc juré de ne porter pour devise, à la pointe de son épée, que la volonté de son grand-père de ne reconnaître "aucun supérieur sinon Dieu" !

    Mais Dieu le rend bien mal à son Duché !

    Et cette année mil six cent trente et un n'est qu'un chapelet de jours terribles.

    Pourtant, les messes se succèdent à l'église des Cordeliers, juste à côté du palais. Et chaque matin, au pied de la porte de la Craffe, les remous populaires et les accents secs de prédicateurs d'occasion le disputent sans relâche aux oremus fervents d'une foule en guenilles réfugiée sous les voûtes ducales. Les uns brûlent des chandelles, les autres caressent les gisants du duc Jean le Libre et de son valeureux successeur Charles II, dont Paris avait encore en mémoire les mots définitifs du dix-septième de juin mil trois cent quatre-vingt-onze : "La Lorraine est un état indépendant, des plus anciens qui soient en crestienté et qui ne reconnaît point de souverain".

    Ils les caressent, ces gisants dont les pierres luisent comme lune d'hiver, et grommellent des imprécations qu'eux seuls peuvent comprendre.

    Sur le pavé, les clochettes des lépreux sonnent un office de misère et les mourants roulent sous les pieds des fuyards.

    A travers ses persiennes, Anne de Boisdeville observe ce peuple meurtri. Depuis le retour de la peste, elle n'a pas ouvert. Ni porte, ni fenêtre. Sauf pour aller rapidement saluer son père qui veille de l'autre côté de la ville, au-delà des remparts où le Bourguignon, un soir d'hiver mil quatre cent soixante-dix-sept, a offert son âme noire à Dieu.

     

    Prix littéraires

    Prix Plume de Vair 1997.
    Prix de l'Académie Stanislas 1997.

     

    Dédicace - Épigraphe

    Dédicace : A Son Altesse Impériale, / Monseigneur Otto de Habsbourg - Lorraine / Duc de Lorraine et de Bar.

    Épigraphe : Nous avons nos lieux saints. Nul plus vénérable, plus émouvant que La Mothe. (Maurice Barrès, Mes cahiers, IV, 27 septembre 1905).

     

    Revue de presse

    Annales
    de la Société
    d'Émulation
    des Vosges

    Nouvelle série N° 10, année 1998, pages 94-95. Bernard VISSE

    La Mothe : le mythe ressuscité

    Cela commence fort. Par une épigraphe de Barrès : "Nous avons nos lieux saints. Nul plus vénérable, plus émouvant que La Mothe". Cela se poursuit par une première phrase proustienne : "Ce matin, Anne s'est levée plus tard que d'habitude", faisant écho au fameux : "Longtemps je me suis levé de bonne heure", ouvrant A la Recherche du temps perdu. Et c'est en effet à une véritable recherche du temps perdu que se livre Gilles Laporte dans son gros roman (plus de 400 pages en trente-trois chapitres et un épilogue) intitulé : Les Dernières violettes de La Mothe.

    La Mothe, lieu mythique. Monde perdu. Perdu trois fois : démoli pierre par pierre sous le joug de l'occupant Français vers la fin de la Guerre de Trente Ans, jeté hors la Lorraine lors de la création des départements pendant la Révolution, englouti depuis sous les ronces à l'instar de la légendaire cité d'Ys engloutie sous la mer. Dans cette première partie du XVII° siècle ravagée par la peste et l'épée, la ville puissamment fortifiée a subi le fer et le feu qui avaient fait tomber avant elle toutes les autres places fortes du duché. Avec plus de hargne et de méthode peut-être que pour ses sœurs, parce qu'elle était la dernière, la plus solide, la plus orgueilleuse, la plus résistante. Et parce qu'après la capitulation de Nancy en août 1633, elle était devenue la capitale de la Lorraine…

    L'objectif de Gilles Laporte était de ressusciter l'une des pages parmi les plus tragiques de la Lorraine, en cultivant deux de ses passions : l'Histoire et la Femme... Magnifier sans trahir, s'entend. Avec la difficulté de travailler sur une époque sujette à controverses : quel ouvrage scientifique fait sérieusement le point sur le règne du duc Charles IV que l'on présente en général comme un quasi déséquilibré sans clairvoyance politique ? Avec l'arrière-pensée de se livrer à une sorte de psychanalyse de l'âme lorraine contemporaine : la rivalité obsessionnelle entre Nancy et Metz, la politique actuelle d'aménagement du territoire, la mise à l'écart du territoire vosgien, ne trouveraient-elles pas leurs racines dans les remous de l'Histoire ancestrale du Duché ?

    Un roman historique, c'est bête à dire, repose sur l'Histoire (avec sa grande hache) : celle d'un peuple, d'un pays, d'une ville… S'il ne veut pas la cantonner dans un arrière-plan nébuleux, l'auteur doit se tenir constamment sur ses gardes et affûter sa plume. Les faits, la chronologie, la "psychologie" des personnages réels, doivent disputer leur véracité, leur légitimité à tout un contexte qui n'est pas qu'accessoire, véritable substrat sur lequel tout repose, et où l'on trouve par exemple le vocabulaire de l'époque, les "décors", les vêtements, les outils, les coutumes, les habitudes alimentaires, etc…

    Ici, l'approche est sérieuse, le travail considérable, les références solides. Cinq années de recherches et de documentation ont été nécessaires, qui se retrouvent dans l'écriture ("tous les passages en italique sont des textes historiques"), de même que dans le glossaire et la bibliographie publiés en fin de volume. L'auteur s'est livré à une enquête pointue sur les événements (deux sièges sanglants et un blocus entre le 8 mars 1634 et le 7 juillet 1645) et sur les forces en présence. Il ne manque ni un régiment, ni un bouton de guêtre !

    L'héroïne principale du roman, c'est évidemment cette ville-forte de La Mothe. L'action est présentée du point de vue Lorrain, vécue de l'intérieur des murs assiégés. Mais il y a une histoire dans l'Histoire : et parmi une nombreuse galerie de portraits où se mêlent sans façon des personnages réels (le jeune Turenne et Richelieu, le vieux duc Caumont de La Force et le gouverneur Choiseul d'Isches…) ou romanesques (le Patau, la Vertu Volontaire, Trois-Pouces…), l'auteur met en scène deux beaux personnages de femmes : Anne de Boisdeville, jeune fille de bonne famille noble (son patronyme lui a été donné en mémoire du premier village abandonné pour créer La Mothe, sur la colline) et son amie, "la" Charlette Jacquin, rousse laiteuse aux yeux verts, courageuse meneuse d'hommes. Fictifs vraiment, tous ces personnages dont les noms nous sont inconnus ? Ce n'est pas certain : le romancier a pu les rencontrer sur les rôles des habitants de la valeureuse cité au cours de ses recherches, ou croiser leurs âmes errantes dans les ronces et les bois qui la recouvrent aujourd'hui.

    Nous sommes incontestablement en présence d'un roman réussi, qui aurait sans doute mérité d'être un peu plus court : mais les grandes fresques pourraient-elles se contenter du seul espace d'un tableau ? La Plume de Vair et le Prix de l'Académie Stanislas qui ont couronné cette œuvre en 1997 sont des plus mérités. Gilles Laporte a publié depuis un nouveau roman : Le Verre de moisson, que nous conseillons également à nos lecteurs.

     

     

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    Page créée le vendredi 9 janvier 2004,
    mise à jour le lundi 22 janvier 2007.
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