Le Loup de Métendal

  • Gilles Laporte
  • 2010| 12ème roman publié


Revenir : biblio Gilles Laporte

 

Date et lieu

A Rambervillers (Vosges), de 1841 à 1918.

Sujet

« La dernière pièce du moule retirée, elle avait pu contempler enfin ce loup de Métendal destiné à Théo, à lui seul ! Grand, majestueux, souverain, comme son grand frère du champ de courses ! »
Née en 1841, Clémence a grandi dans l'univers de la faïence où travaillait son père, chef d'atelier à Rambervillers, en Lorraine. Passionnée, elle perpétue la tradition, et survit avec le fruit de ses ventes de terres cuites dans une ville meurtrie par les assauts des cavaliers prussiens. Jeune veuve, elle prend en charge seule son fils Théo et son frère Nicolas, revenu traumatisé de la terrible bataille de Sébastopol. En 1871, refusant l'annexion prussienne, des Alsaciens se réfugient dans le Sud de la Lorraine resté terre française. Parmi eux, Palmyre Lazare. Il tombe bientôt sous le charme de Clémence. La vie de celle-ci connaîtra-t-elle enfin un cours plus tranquille ?

Le bel hommage, à la fois érudit et romanesque, d'un écrivain à sa terre natale à travers le portrait d'une femme qui se bat pour sauvegarder sa faïencerie et son amour.(4ème de couverture, 2010).

 

Édition

Le Loup de Métendal

  • 1ère édition, 2010
  • Paris : Presses de la Cité, mars 2010.
  • Collection "Romans Terres de France", dir. Denis Bourgeois.
  • 23 cm, 390 p.
  • Couverture ill. : Les Amoureux, détail, 1888, Emile Friant (Musée des Beaux-Arts de Nancy).
  •  

    Première page

    23 décembre 1841

    On n'en finissait pas d'attendre la fin des révolutions. Dans les Vosges comme ailleurs. Chez les Goutfeux comme dans les autres familles.

    - On finira bien par vivre normalement, un de ces jours !

    Quirin secoua son paletot constellé de cristaux de glace, le suspendit à la patère, poussa ses brodequins du bout du pied derrière la porte d'entrée. Ses chaussettes fumaient.

    - On finira bien...

    Il jeta sur une chaise sa casquette molle que la chatte avait déjà repérée. A chaque retour de la manufacture, c'était le même rituel avec le paletot, les chaussures, la casquette et la chatte. Sa moustache était givrée. Il en lécha quelques gouttelettes du bout de la langue.

    - Il ne s'rait pas trop tôt, hein... Qu'est-ce que t'en penses ?

    Il avait neigé toute la journée. Les vitres de son atelier, à la faïencerie, s'étaient lentement couvertes d'arabesques. La tiédeur du matin avait brusquement viré au froid sibérien en quelques heures, avec une bise soufflante et sifflante qui aspirait à grandes goulées le feu des fours, tantôt refoulait des fumées âcres à faire tousser des bataillons de tâcherons.

    - Qu'est-ce que t'en penses ?

    Quirin avait haussé le ton. Il dressa l'oreille, attendit la réponse. Tout le long du chemin du retour, jusqu'à la rue du Cheval-Blanc, dans la neige jusqu'aux genoux, il avait pensé aux récits de son père, ancien de Friedland dans le 1er corps du général Victor (que cette bataille avait fait maréchal de France), réchappé de la retraite de Russie : blizzard, froid qui gelait jusqu'au squelette, panse béante des chevaux éventrés pour seul abri, la faim comme une bête griffue qui dévorait les entrailles, et la neige, encore la neige, la neige à perte de vue, à perte d'espoir !

    Inquiet, il suspendit ses mouvements. Silence. Seuls les crépitements du chêne dans la cuisinière. L'air embaumait la cire d'abeille et la fumée d'un feu de bois : la bonne ambiance de la maison, après le bruit, la poussière, la frénésie de l'atelier, et la bise qui l'avait coupé en deux dans l'interminable rue Nationale.

    - Justine !

    Silence.

    Justine ! Nicolas...

     

    Dédicace - Épigraphe

    Dédicace : A Paulette Creusat-Lamesch, ma grand-mère.

    Épigraphe : Voilà le sacrifice immense, universel !
    L'univers est le temple et la terre est l'autel.
    [...]
    Tout se tait : mon coeur seul parle dans ce silence
    La voix de l'univers, c'est mon intelligence.
    [...]
    Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
    (Alphonse de Lamartine (Méditations poétiques, 1820 : La prière).

     

    Revue de presse

    Vosges Matin

    Samedi 20 mars 2010. Sabine LESUR

    Gilles Laporte crie au loup

    L'auteur vosgien Gilles Laporte sort un nouveau livre qui a pour cadre l'univers des faïenciers de Rambervillers. Un roman entre histoire et terroir qui explore avec finesse la fin du XIXe siècle.


    L'auteur Gilles Laporte s'est plongé cette fois dans l'univers des faïenciers de Rambervillers.
    (Photo E. Thiébaut)

    - Vous venez de sortir cette semaine votre dernier roman, Le Loup de Métendal, dont l'intrigue se situe à Rambervillers. Votre région demeure le fil rouge de la plupart de vos oeuvres...

    - J'ai toujours été très attaché à ma région et au patrimoine de mon pays. Dans cet ouvrage, j'ai voulu évoquer la faïence de Rambervillers car elle était en voie de disparition. D'ailleurs la technique du grès flammé de Rambervillers aurait totalement disparu si Marcel Ferry et sa petite-fille Julie Bernaudin n'avaient pas perpétué ce savoir-faire. Grâce à eux, leur rencontre et leur travail, j'ai pu me documenter avec du concret sur cette technique.

    - Un roman du terroir mais historique aussi...

    - Oui, à travers cette histoire j'ai voulu explorer la deuxième partie du XIXe siècle et comment elle s'articulait avec le XXe siècle. C'est pourquoi j'ai situé les héros de mon histoire entre 1841 et 1918. Cette période est intéressante à plus d'un titre : non seulement il y a eu la guerre de 1870 mais aussi c'est une période qui a vu naître la montée de l'antisémitisme.

    - Vos personnages sont nombreux mais tournent toujours autour des femmes comme cette Clémence qui est l'héroïne principale de votre histoire...

    - Je dirais que mon oeuvre s'articule de manière triangulaire autour de l'histoire, ma région et les femmes. Beaucoup de mes romans leur sont dédiés et mettent en scène des femmes car justement, elles m'inspirent et me nourrissent. Dans Le loup de Métendal, il y a beaucoup de personnages mais l'histoire est surtout vue au travers de Clémence, une gamine qui a grandi dans l'univers de la faïence où travaillait son père, chef d'atelier à Rambervillers.

    - Très vite et après quelques péripéties, elle décide de reprendre le flambeau et de vivre du fruit de ses ventes de terres cuites alors que pendant ce temps, la ville tente de survivre, meurtrie par les assauts des cavaliers prussiens. Cette femme a dû abandonner ses études très tôt et a le coup de foudre, alors qu'elle est déjà mère d'un gamin, pour Palmyre Lazare, un juif qui va déterminer son destin.

    - Vous évoquez également un événement clef à travers le personnage du frère de Clémence : la guerre de Crimée...

    - Oui, Clémence a un frère Nicolas, revenu traumatisé par la terrible bataille de Sébastopol, un épisode sanglant de la guerre de Crimée. Je crois qu'il n'était pas le seul surtout dans le secteur. Il ne faut pas oublier que Rambervillers a été une ville de garnison énorme. C'était en quelque sorte également une ville frontière où se sont réfugiés beaucoup d'Alsaciens qui ont refusé de devenir prussiens. Il y régnait une ambiance particulière.

    - Pourquoi la montée de l'antiséministe vous a-t-elle tellement fascinée ?

    - Je me suis toujours demandé comment on pouvait développer un tel sentiment de haine et de mépris à l'égard d'un peuple ou d'une confession. Clémence voit sa vie heureuse se ternir lorsqu'elle épouse justement un juif. C'était très flagrant à l'époque et il y a plus d'un commerçant comme Clémence qui a vu sa vitrine brisée par des racistes. Il ne faut pas oublier que l'affaire Dreyfus n'était pas loin. Moi qui ne connaissais pas cette religion, je me suis fait aider par Gérald Tennenbaum, prix Erckmann-Chatrian et auteur ainsi que par le président de l'association culturelle juive de Nancy. J'ai découvert le talmud, la tora et ce fut un voyage culturel fabuleux.

    - Et le lien avec le loup du titre ?

    - C'est une allusion à une statue en bronze que j'ai découverte dans une cour de Rambervillers par hasard. Elle avait été commandée par un riche propriétaire de Baccarat, Maurice de Cöetlosquet, créateur de l'hippodrome de la ville. Dans l'histoire, cette statue est un lieu de jeu fabuleux pour Théophile, le fils de Clémence. Il cristallise aussi, de par sa symbolique, toutes les peurs, les haines, les formes de discrimination raciale que j'évoque et qui étaient monnaie courante à cette période.

    Propos recueillis par Sabine LESUR

    Le Loup de Métendal, de Gilles Laporte aux éditions Presse de la cité, dans la collection "Terres de France". Prix : 19,90€. Dédidaces et rendez-vous : mardi 7 avril, exposition des oeuvres de Julie Bernaudin à la fac de droit de Nancy, mise en scène de Dimitri Thirion, en présence de Gilles Laporte. Samedi 10 avril, à 11 h, sortie officielle du livre à la médiathèque de Rambervillers. A 18 h, lecture et séance de dédicace à la chapelle des Arts, rue Carnot à Rambervillers. Vendredi 30 avril, séance de dédicace à la librairie Le Quai des mots à Epinal.

    La Plume culurelle

    Jeudi 6 mai 2010. Marie-Hélène FANTON D'ANDON

    Le Loup de Métendal, un roman du terroir de Gilles Laporte

    La « bête des Vosges » n'est pas celle que vous croyez

    L'écrivain vosgien Gilles Laporte, actuel président du Prix Erckmann-Chatrian, vient de publier aux Presses de la Cité Le Loup de Métendal, un hymne à la nature vosgienne, qui retrace dans une fresque aussi érudite que romanesque les bouleversements historiques et sociaux de la Lorraine et de la France du XIXème siècle.

    Le regard pétillant de l'auteur du Loup de Métendal.

    Le loup de Métendal existe, c'est une statue sur laquelle il est d'usage que montent les petits enfants lors de leurs promenades dans ce lieu-dit de Rambervillers, ville située dans l'arrondissement d'Épinal. Le roman se déroule au cœur de cette région des Vosges célèbre pour ses grès flammés. A l'origine du développement de cette technique, Alphonse Cytère, qui est dans le roman le seul héros ayant réellement existé au milieu des personnages de fiction. Celui-ci vient à Rambervillers pour fabriquer à l'origine... des tuyaux d'adduction d'eau en grès ! Dans la région existe une carrière d'argile propre à la fabrication de terre cuite et de faïences qui sert de fil rouge à l'intrigue. L'ouvrage de Gilles Laporte renferme à propos de cet artisanat un luxe de détails et un vocabulaire technique qui dénotent une longue recherche. « Je tiens à rendre hommage, dit l'auteur, à une jeune femme qui a décidé de donner un nouvel essor à une technique ancestrale, qui appartient au patrimoine de cette région des Vosges ». En effet, c'est elle, Julie Bernaudin, issue de l'École Nationale de Céramique, qui l'a guidé dans sa recherche et lui a transmis son savoir.

    La vie intense d'une petite ville des Vosges

    La ville de Rambervillers, dont on découvre l'évolution au cours du XIXème siècle, puisque le roman s'étend sur une période qui va de 1848 à 1919, possède une identité propre, due aux hasards de l'Histoire. Écartelée en raison de sa situation géographique entre l'évêque de Metz et les ducs de Lorraine, cette ville se serait voulue libre et savait revendiquer ses particularismes. De plus c'était une ville riche de son artisanat, de son industrie et de son agriculture. Elle fut le point de ralliement de l'armée française après la retraite de Russie. En octobre 1870, elle résista à l'envahisseur prussien en dressant des barricades. La vie locale était animée par une population très informée et réactive aux événements nationaux. Elle a toujours bouillonné d'une vie citoyenne intense, au point que les élections locales étaient suivies jusque dans les ministères parisiens. C'est ainsi que dans Le Loup de Métendal, on pourra suivre les grands événements du siècle à travers le ressenti et les réactions d'une population pas toujours très tendre. On y découvrira en particulier que l'antisémitisme n'était pas réservé aux villes, et que, exacerbé par l'affaire Dreyfus, il se réfugiait de façon tout aussi haineuse jusque dans les endroits les plus reculés du territoire.

    Une figure de femme attachante

    Si le personnage principal du roman est une femme, Clémence, c'est que l'auteur avoue sa prédilection pour ces personnages féminins au caractère bien trempé qui traversent les époques en précurseurs. Lui-même se plaît à rappeler que la première bachelière de France, Julie Daubié, était Lorraine, née à Bains-les-Bains. Et il lui comparerait volontiers sa Clémence, courageuse et déterminée, à la fois entreprenante et amoureuse, sachant toujours relever la tête au milieu des malheurs. C'est à travers les différents épisodes de la vie de cette femme de tête que Gilles Laporte fait défiler anecdotes et personnages lorrains, se plaisant à évoquer à la fois l'Histoire et les histoires. La région fourmille d'anecdotes savoureuses : on découvre l'Écrevisse, le train le plus lent de France, le Théâtre du Peuple fondé à Bussang par la famille Pottecher. Des figures lorraines émaillent le récit : Jules Ferry, Maurice Barrès, Émile Durkheim, Émile Gallé et l'École de Nancy. Le tout servi par une langue très travaillée, qui sait varier les registres pour s'adapter aux différents personnages jusque dans leur patois vosgien, et où pétillent parfois des traits d'humour qui ravissent le lecteur. « La couleur locale est délibérément affichée, ajoute l'auteur. Car la langue des héros traduit leur appartenance à un patrimoine culturel, qu'il faut faire vivre et revivre ».

    Gilles Laporte Vosgien pour toujours !

    L'auteur, Gilles Laporte, se revendique comme viscéralement Vosgien. Il n'y a qu'à lire ces pages où la description des saisons rythme les événements historiques, où se révèle un amour passionné pour les hirondelles et les martinets, symboles de liberté et de renouveau. Où l'on découvre aussi que derrière l'écriture romanesque transparaît une philosophie de l'histoire en perpétuel recommencement. Car le XIXème siècle qu'on aborde avec une curiosité sans cesse renouvelée a connu canicules, hivers rigoureux, tempêtes meurtrières, inondations, krach des banques, affaires politiques, antisémitisme. Passionné d'histoire, Gilles Laporte, au cours de sa carrière aussi éclectique qu'enrichissante, a toujours beaucoup lu et beaucoup écrit, fréquenté les archives et parcouru sa région en long et en large. En plus de son travail d'écrivain, il est homme de radio et de télévision, scénariste et conférencier. Le Loup de Métendal est son treizième roman, sans doute l'un des plus aboutis.

     


     

    Page créée le dimanche 21 mars 2010.