Raymond PERRIN




Un siècle de fictions pour les 8 à 15 ans

La Lorraine et les régions voisines
 

La consultation rapide du livre de Raymond Perrin, Un Siècle de fictions pour les 8 à 15 ans (1901-2000) à travers les romans, les contes, les albums et les publications pour la jeunesse, publié aux Éditions L'Harmattan (Paris, 2001, nouvelle édition entièrement revue et corrigée en 2002, édition définitive avec un index en 2003), ne permet pas d'emblée de voir l'intérêt qu'il porte aux auteurs du massif vosgien et, plus généralement, de la Lorraine.

D'abord, parce que ce livre de 512 pages, après une introduction-essai et une chronologie pour les œuvres antérieures à 1901, dresse le panorama des auteurs et des collections juvéniles de fictions de tout le XXe siècle, suivies au long de leur histoire et replacées dans leur contexte. La rétrospective qui met en évidence la prise en compte progressive du roman policier ou du récit historique, du fantastique et de la science-fiction, intègre aussi la presse des jeunes pré-publiant parfois des romans. Elle donne, en plus de l'évolution décrite au long du siècle, des tableaux des journaux de 1938 à 1998. La perspective s'étend aux albums illustrés et à la bande dessinée. Illustrateurs et dessinateurs sont largement cités. En annexe, outre une bibliographie, le lecteur trouve une liste des personnages récurrents, des pseudonymes des auteurs, un historique des collections et une table des matières détaillée.

Il est donc utile de préciser la place réservée aux auteurs et personnalités de la Lorraine du XXe siècle.

Place d'abord aux aînés souvent utilisés par l'idéologie de l'époque dans une optique patriotique, voire revancharde...

La première évocation des Vosges trouve naturellement sa place dans la mention de l'œuvre de G. Bruno, (alias Madame Fouillée, née Augustine Thuillière), Le Tour de la France par deux enfants. Si le texte primitif de 1877 enseigne aux deux orphelins André et Julien, "l'amour de Dieu et du devoir", le texte auto-caviardé de 1906 se conforme à la loi laïque. "Plus de prière du soir pour les enfants, au pied des sapins des Vosges, avant de céder au sommeil" (p. 53)…

Quand Larousse publie Jeanne la bonne Lorraine de J.-B. Coissac en 1914, les motivations cocardières sont évidentes. Erckmann et Chatrian sont cités seize fois, en particulier pour la parution de leurs romans et récits dans la Bibliothèque verte, née en 1924. Si l'historien néocastrien Louis Madelin, apparaît furtivement, c'est parce qu'il a écrit dans l'hebdomadaire A la page, dans les années 30.

Jacques Dieterlen (mort à Gérardmer en 1959) est présent, non pour son volume Hohneck (1946), mais pour Le Chemineau de la montagne. Si le nom d'Edmond About, précurseur inattendu dans le domaine de la S-F avec L'Homme à l'oreille cassée et Le Nez d'un notaire apparaît une dizaine de fois, c'est parce qu'il est né à Dieuze en 1828.

D'autres "anciens" ne sont pas oubliés : le dessinateur nancéen Grandville, le peintre, graveur et dessinateur de carton de tapisserie Jean Lurçat (1892-1966), illustrant Jean-sans-pain de Paul-Vaillant Couturier, les conteurs (restituant les légendes lorraines et alsaciennes) Émile Hinzelin et Henri Iselin (lequel s'était mis en tête d'illustrer souvent ses propres livres), et même Pixérécourt, connu pour ses mélodrames populaires.

Jules Ferry est cité six fois grâce à ses fameuses lois sur l'instruction gratuite, laïque et obligatoire. Passons plus rapidement sur le Capitaine Danrit (alias le Colonel Driant), hélas coupable, comme Gyp, de racisme dans ses livres, comme le montre la lecture des Robinsons sous-marins.

En 1937, Alsatia reprend la plus célèbre collection scoute. Jean-Louis Foncine (alias Pierre Lamoureux), né à Homécourt, (mais il vécut surtout dans le Jura), encore présent au dernier Salon du livre en 2003, est inséparable de cette collection Signe de piste.

L'évocation de Georges Sadoul (1904-1967) n'est pas liée au cinéma ou au surréalisme, comme on pourrait s'y attendre. Il s'agit d'aspects méconnus de son œuvre : la création du journal Mon camarade et son rôle de censeur sur la presse juvénile en 1936-38, rôle non négligeable car on exploitera encore ses écrits en 1949 pour justifier la loi de post-censure de juillet 1949.

Un romancier originaire de Lure était très présent dans les journaux et les collections de romans des éditions Fleurus dans les années 30 à 50 : il s'agit de René Duverne (né en 1893), que les lecteurs de Cœurs Vaillants connaissent bien. Les "ruraux" (ainsi les appelait-on encore sans intention péjorative en 1950) découvrent les arcades de la ville de Remiremont dans Les Semelles d'or, bande dessinée de René Bonnet (Herbone, 1905-1998), évidemment publiée dans le journal Fripounet et Marisette qui porte le nom des héros éponymes depuis 1945. C'est vers cette époque que s'illustre le Spinalien Léo Valentin, fameux "homme-oiseau", qui finit par se brûler les ailes comme Icare (et la Bibliothèque verte publiera ses écrits).

Si l'on considère le massif vosgien (et non les strictes limites administratives du département des Vosges), une place doit être faite à plusieurs auteurs "alsaciens". Le Mulhousien Robert Recher situe souvent ses récits juvéniles (en particulier les aventures de Franzi) sur les sommets et vallées du massif vosgien (sous le Petit Ballon). Mais le grand Alsacien, dans le domaine de l'illustration, après l'Oncle Hansi (alias Jean-Jacques Walz, peintre et caricaturiste également présent dans l'ouvrage), c'est Tomi Ungerer, Prix Andersen, auteur et illustrateur mondialement connu et revenu aujourd'hui à Strasbourg ! Cette ville est aussi le lieu de naissance en 1958 de Mathieu Lipschutz, plus connu pour son nom de romancier, celui de Paul Thiès. N'oublions pas l'illustrateur Philippe Munch, né à Colmar en 1959, très présent dans les collections juvéniles.

Jacqueline Verly situe fréquemment ses récits dans les collines sous-vosgiennes, côté Est. La Bresse est présente dans Tempête sur les huttes, avec une chaleureuse description de la "conque de Machais" et du petit village voisin de Wildenstein où se situe l'essentiel de l'action.

C'est à travers l'allusion à Saint-Exupéry qu'est cité Léon Werth (né à Remiremont en 1878, l'année ou Rimbaud traverse les Vosges et cette ville qu'il cite dans une lettre), Werth dédicataire du Petit Prince, réfugié juif et seul capable de comprendre les allusions aux "étoiles qui ne sont pas les mêmes pour tous".

Passons aux vrais contemporains pour évoquer des noms familiers au amateurs de bandes dessinées. En particulier, ceux de l'auteur de B.D. Baru (Hervé Barulea, originaire de Thil), de Frédéric Boilet, auteur de B.D. spinalien parti au Japon.

Le dessinateur-scénariste et auteur vosgien d'albums, Thierry Desailly, aujourd'hui présent chez Actes Sud Junior, illustra en particulier le Messin Alain Surget, quand il décrivit un "Mowgli bressaud" dans Le Fils des loups. Benoît Ers qui fit des études artistiques à Épinal est présent pour sa B.D. Muriel et Boulon, tout comme le regretté et génial Jean-Marc Reiser, né à Rehon. (Rarement, un livre sur la littérature de jeunesse, après celui de Rolande Causse, n'a abordé la bande dessinée d'une façon aussi positive).

Dans les rangs des romanciers actuels, on note la présence de Jean-Claude Baudroux, fort agréablement surpris de la présentation des éditions alsaciennes du Bastberg qu'il dirige, Muriel Carminati, de Longwy, Sophie Chérer, Lorraine et Prix Erckmann-Chatrian, Clair Arthur auteur-illustrateur d'Épinal (alias Patrick Sourdot).

Gilles Fresse, auteur juvénile originaire des Vosges, a gagné la Meurthe-et-Moselle. Laurence Gillot est citée pour son adaptation des Métamorphoses d'Ovide, et son personnage Lulu Grenadine concernant les moins de 7-8 ans. Surtout ne pas omettre Jean L'Hôte, l'auteur de La Communale et des Confessions d'un enfant de chœur, (courageux ou distrait caméraman qui filma il y a juste 50 ans un petit chien à la place de la reine Élisabeth lors de son couronnement !).

Hubert Mingarelli, né en Lorraine, Prix Erckmann-Chatrian 2002, illustre bien ces auteurs qui se font connaître en littérature-jeunesse avant d'être reconnus dans la littérature-adulte. Les Lorrains Denis Montebello (Spinalien parti vers le Sud-Ouest), Claude Ponti (auteur et illustrateur de Lunéville), Daniel Vaxelaire (parti à la Réunion), sont aussi dans ce cas de figure et l'Alsacien Jean-Pierre Hubert, ouvrant la S-F aux adolescents dans la collection Autres mondes.

Une place à part est faite à Pierre Pelot, lequel est l'auteur le plus présent, avec plus de trente-cinq mentions. Il a publié une soixantaine de romans dans les collections jeunesse et certains de ses illustrateurs sont évidemment mentionnés, tels Claude Auclair, Roger Blachon, Michel Blanc-Dumont ou Paul Gillon… C'est parce qu'ils ont adapté pour la télévision des œuvres juvéniles de Pelot qu'apparaissent Pierre Cardinal et Fabrice Cazeneuve.

Les émissions de littérature à la télévision doivent beaucoup au Messin Claude Santelli disparu en 2001 (et cité 3 fois). Davantage cantonnés dans la littérature juvénile, on retrouve encore dans cet ouvrage les noms de Dylan Pelot (et son copain Jean-Marc Mathis), Simone Schmitzberger, ou Jacques Venuleth (né à Colmar).

Pour nos voisins de la Franche-Comté, saluons la présence de Bernard Clavel, Monique Ponty, et rappelons celle de Jean-Louis Foncine...