Le Bonheur des sardines

 
 
  • Pierre Pelot
  • 1993 | 138ème roman publié
  • Noir
 

Date et lieu

En 1991, dans les Vosges et au Portugal.

Sujet

"J'ai trouvé ce qu'il nous faut, je crois", dit Sacouna. Norbert leva un sourcil, sourit. "Oui ? - Une bande de cons idéale", résuma Sacouna. La bande en question est composée de sept copains qui ne connaissent que trois moyens de combler le vide de leur existence : reluquer les filles, se soûler à la bière, rêver d'ailleurs. Pas méchants, pas vraiment responsables de leurs manières de jeunes pourceaux, sympathiques au fond, mais passablement abrutis.

Utilisables, donc, par plus malins qu'eux lorsqu'ils s'entassent dans leurs deux Samba pour quelques jours de vacances au Portugal. Et ce qui devait être une joyeuse équipée vers le soleil et les plages tourne au cauchemar… Un travelling sur une jeunesse à la dérive qui, à la façon de Tchao pantin, fait surgir la tragédie dans les eaux basses du quotidien.(4ème de couverture, 1980).

 

Éditions

Le Bonheur des sardines.

  • 1ère édition, 1993
  • Paris : Denoël, mai 1993 [impr. : 04/1993].
  • 21 cm, 190 p.
  • (Sueurs froides [4ème série]). Collection dirigée par Jacques Chambon.
  • ISBN : 2-207-24052-5.
  • Prix : 80,00 F.
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  • 2ème édition, 2014
  • Paris : éditions Bragelonne, 19 mai 2014.
  • (Bragelonne Classic).
  • Livre numérique.
  • 136 p.
  • ISBN : 978-2-8205-1589-6.
  • Prix : 2,99 €.
  • Lorsqu’une bande de copains, pas très futés mais plein d’entrain, décident de partir au Portugal pour passer l’été au soleil à reluquer des filles, ils ne se doutent pas une seconde que des trafiquants de drogue les ont pris pour cibles. En effet, Terry appartient à cette « bande de cons idéale », Terry qui a couché avec une fille du clan Sacouna, et qui en échange va devoir faire passer deux kilos de drogue.
    Une erreur qui va tourner au cauchemar, horrifiant et pourtant tellement décalé, quand ces jeunes paumés se retrouvent face à une situation qui les dépasse.
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    Première page

    Il entra dans le bar à midi tapant, traversa la salle de restau bondée, taillant dans la fumée et le brouhaha. A cette heure-là, c'était une clientèle de bureaux. Aucune des filles attablées devant le plat du jour ne détourna son attention à son passage.

    Ils étaient comme prévu dans la salle du fond. Quatre autour d'une table. La partie n'était pas engagée depuis longtemps, à en juger par le tapis découvert et les piles de jetons. Le vacarme en provenance de la salle voisine était à peine moins fort.

    Deux autres types, inconnus, se tenaient assis un peu en retrait, derrière Norbert. Visiblement deux frères, maigres, grands, osseux, dont un avec une tête incroyablement hirsute et vêtu un peu comme un hippie des temps révolus - une allure qui aurait motivé tout net le refoulement à l'entrée de l'établissement. Il fallait que ce type soit important pour que Norbert tolère un pareil look.

    Il attendit, debout, sous le regard inexpressif des deux types maigres.

    Puis Norbert reposa ses cartes fermées sur la table, devant lui, et dit : " Salut, Sacouna.

    - Salut ", dit-il aimablement, alors qu'en général, si on l'appelait par son sobriquet, il cognait.

    " Ça va, ta frangine ? " demanda Norbert.

    On ne pouvait jamais savoir s'il plaisantait ou non. En l'occurrence, ce devait être une manière de plaisanterie ; il n'attendit pas la réponse et reprit : " Alors, quoi de neuf ?

    - J'ai trouvé ce qu'il vous faut, je crois ", dit Sacouna.

    Norbert leva un sourcil, sourit. " Oui ?

    - Une bande de cons idéale ", dit Sacouna.

    Ça se passait fin juin.

    Lilli et Anelo regardaient passer les filles qui se rendaient au supermarché. La plupart n'étaient pas de la région. C'étaient des filles de l'été, cheveux dorés, longues jambes brunes et pieds nus dans des chaussures à talons claquant sur l'asphalte du parking, qui ne se privaient pas de descendre de voiture en écartant les cuisses ; des filles en shorts ultracourts sur leurs fesses rondes et mouvantes, avec des poitrines qui balançaient sous les T-shirts légers ; des filles tout en couleurs, de quinze ans au double de cette prime jeunesse-là. Rien qu'à les regarder, on pouvait oublier sans peine que l'été est la plus terrible des saisons, on pouvait même être persuadé du contraire - les garces ! Il y en avait de véritablement superbes, tout droit tombées d'un clip. Elles parlaient des langues d'estivantes.

    " Qu'est-ce t'as ? demanda Anelo. Tu dis rien.

    - J'ai rien à dire, le rassura Lilli. C'est pour ça. "

    Ils avaient vidé le pack de bières, les cannettes vides étaient alignées entre eux au pied de la murette. Les gens entraient et sortaient du magasin en un flux permanent ; les portes étaient bloquées en position ouverte.

    Deux filles descendirent d'une voiture mafflue immatriculée NL qui s'était garée à l'extrémité de la rangée la plus proche. Elles étaient grandes et blondes, avec des cheveux d'airain encore mouillés, vêtues de maillots de bain humides sur lesquels elles avaient noué des serviettes chamarrées en tissu-éponge. Elles verrouillèrent les portières et se dirigèrent, hanches roulantes, vers le magasin aux entrées comme des gueules aspirantes. Quand elles eurent disparu dans le grand rictus vorace et figé, entraînées avec une poignée de chalands pousseurs de caddies, Anelo referma enfin la bouche et songea à continuer de respirer.

    " C'est en Allemagne qu'on devrait aller, lâcha-t-il. Plutôt. Pourquoi que Narcisse a pas sa grand-mère en Allemagne ? "

    Lilli se remettait doucement de cette espèce d'éblouissement languide provoqué par le passage des deux créatures. Il soupira, se grattant longuement les avant-bras, l'un après l'autre, sous les manches de chemise strictement tirées et boutonnées aux poignets.

    " C'est des Hollandaises, dit-il. Pas des Boches.

    - M'en fous, cracha Anelo. En Allemagne, c'est plein d'Hollandaises comme ça. C'en est bourré. C'est pareil, la même chose. "

    Un peu de temps glissa alentour, les frôlant à peine. Ils regardaient la curieuse voiture blanche qui attendait comme une bête rondouillarde et placide.

    " Qu'est-ce que t'en sais, comme c'est en Allemagne ? " dit Lilli sur un ton fatigué. On aurait cru que l'expression d'étonnement qui lui était venue progressivement s'était incrustée à jamais dans son visage.

    " J'le sais. J'connais l'Allemagne. "

     

    Revue de presse

    La Liberté de l'est

    La Liberté des livres, 15 juin 1993. Raymond PERRIN

    Les provinciaux débarquent au Portugal

    Rue des Sardines conte l'odyssée à la lois tragique et burlesque d'une bande de sept copains, aussi déglingués que leurs bagnoles, au terme de leur pitoyable équipée.

    Issus d'un bout du monde bien provincial (qui pourrait être lorrain !), les comparses, davantage liés par le hasard que par de réelles affinités, ont de l'existence des ambitions bien limitées : vider les packs de bière, fantasmer très concrètement sur les rondeurs féminines, et au summum de leur "idéal", partir satisfaire leurs envies ou rêver, mais chacun pour soi, d'un ailleurs sur fond de cliché touristique et marin.

    C'est le Portugal qui fournit le cadre approprié pour des vacances qui devraient se passer sans histoire si des trafiquants de drogue n'avaient jeté leur dévolu sur cette "bande de cons idéale". Avec sa maîtrise habituelle du récit, Pelot plonge insidieusement le lecteur dans un cauchemar de plus en plus glauque, d'autant plus insoutenable et surprenant qu'il surgit du quotidien le plus trivial, des objets les plus communs, une voiture ou une bouteille de pétrole. Le choc est d'autant plus grand que l'on rit souvent des propos ou des actes quasi somnambuliques de ces paumés, abrutis par une morne existence, sans plus d'espoir d'une échappée que des sardines confinées dans leur boîte. C'est sans doute pourquoi le récit reste ouvert sur le tableau inachevé d'une sorte d'errance hallucinée pour ces êtres frustes, seulement choqués que l'on puisse ainsi "mourir en traîtres", sans l'avis des amis !

    Mené tambour battant le long des dérives géographiques et humaines les plus diverses, au rythme des "Samba" rouge et bleue, ce roman continue, à sa manière, d'autres polars comme La Nuit sur Terre ou Noires racines déjà publiés dans la même collection Sueurs froides.

     

    L'Année de la fiction 1993

    Polar, S.-F., fantastique, espionnage : bibliographie critique courante de l'autre-littérature/ sous la dir. de Jean-Claude Alizet.- Amiens : Encrage, 1994.- Laurent GREUSARD, pages 257-258

    Une bande de copains, entre hard-rock, descente de canettes et petits boulots, décide de partir en vacances au Portugal où la famille de l'un d'eux possède une maison. Ce que la bande ignore, c'est que Terry, ayant couché avec Liliane, du clan Sacouna, doit, en dédommagement, passer deux kilos de drogue. Dès leur arrivée au Portugal, ils sont surpris par la pauvreté. Ils retrouvent Arlinda, la sœur de Narcisse, venue habiter là, depuis deux ans, pour aider sa grand-mère à tenir la maison.

    Tandis que les autres savourent le farniente sur la plage, Lilli découvre les deux paquets de drogue dans le coffre de la voiture. Il se doute de quelque chose mais se tait. Un peu plus tard, la bande se dispute et quatre d'entre eux, Lilli, Maxmo, Anelo et Boule, retournent à la maison tandis que les autres décident d'aller draguer les touristes dans les environs. Les quatre se saoulent, beuverie qui tourne au tragique : Maxmo boit du pétrole et meurt. Boule et Lilli cachent le corps dans le coffre et partent, avec Anelo, rejoindre les autres en ville.

    Ils décident d'aller aux putes. En sortant, Lilli voit Anelo et Narcisse se bagarrer avec des musiciens qu'ils avaient déjà rencontrés sur la route, traînant une chienne malade et pansementée. La bande se sauve et découvre alors que Terry et l'une de leurs voitures ont disparu. Ils rentrent chez la grand-mère.

    Le lendemain, la police rapporte la voiture. Terry réapparaît et explique à Lilli le chantage dont il fut victime : il a volé la voiture et rejoint les musiciens, en fait les Sacouna. Ceux-ci, en ouvrant le coffre pour récupérer la drogue, ont découvert le cadavre de Maxmo. Terry a alors pris une arme, tiré et s'est enfui.

    Ils ouvrent le coffre dans lequel ils trouvent le corps de la chienne : c'est elle qui, opérée, devait passer la drogue. Le message est clair : les Sacouna les retrouveront.

    Le lendemain, alors que Boule et Lilli se demandent ce qu'ils vont devenir, Arlinda s'enfuit avec Terry.

    * Pierre Pelot est l'un des derniers grands écrivains populaires avec G.-J. Arnaud. Reconnu par le grand public, après une énorme production (policière, SF, terreur, western, livres pour enfants...), grâce à L'Été en pente douce, il nous propose ici un roman à l'atmosphère noire et lourde, dans lequel les personnages, incultes et sans références dans un monde qui les dépasse, sont très bien rendus. L'intrigue, un peu mince, rythmée de bitures à la bière et de rondeurs affriolantes, s'efface derrière ce rendu d'ambiance.

     

    Page créée le samedi 15 novembre 2003.