Alain BERNIER

 
 

Victor Bernier

Le Courrier de l'Ouest

19 février 2007

"Homme politique et père" :
son fils Alain évoque Victor Bernier

Alain Bernier, coauteur de plusieurs feuilletons publiés dans notre journal, vit à Paris. Mais ses liens avec Angers n'ont jamais été rompus. Son père Victor Bernier, figure du département dans les années 30 et 40, maire d'Angers à plusieurs reprises, est mort il y a 55 ans tout juste. L'occasion pour Alain Bernier d'évoquer l'homme politique et privé.

J'ai envie de dire quelques mots sur mon père, Victor Bernier, dont le nom a été donné à une place d'Angers en reconnaissance de son action. D'abord, quelques dates surprenantes. Mon père est né en 1868 et mon grand-père paternel, qui m'a connu, en 1827 sous Charles X !

Si ce témoignage paraît aujourd'hui, c'est pour une raison majeure : je me sens coupable. En effet, depuis mon adolescence, j'écris des romans, des pièces de théâtre, des nouvelles, en collaboration avec Roger Maridat, et des poèmes. En pensant à toutes ces heures de bonheur consacrées à l'écriture, j'éprouve une grande peine en me rendant compte que, sans doute par pudeur, je n'ai jamais consacré une ligne à mon père. Par ailleurs j'ai été frappé, depuis plusieurs années déjà, de voir les drames de l'incompréhension entre pères et fils. Les premiers ne parvenant pas à se faire entendre, les seconds étant exaspérés de les écouter.

Pharmacien et élu

Dans les années vingt (je suis né en 22), le style et le rythme de vie étaient bien différents de ceux de nos jours. Mon père, pharmacien, passait de nombreuses heures à la mairie, ce qui le passionnait. Il revenait déjeuner à la maison, comme tout le monde à l'époque. Quand je l'entendais entrer, pour jouer je me cachais aussitôt et il se mettait à me chercher en faisant des commentaires amusants sur les endroits où je pouvais me trouver. Il avait le don d'arrêter le jeu dans la bonne humeur et je savais que demandes ou pleurs pour continuer n'auraient servi à rien. Il n'aurait jamais cédé et les règles imposées ne me pesaient pas. Le dimanche matin, il me racontait des histoires d'animaux qu'il inventait et faisait évoluer de semaine en semaine en fonction des événements du quartier. La boulangère, par exemple, n'a jamais deviné que son chien, qui avait fait une fugue, s'était rendu au lac Tanganyika où il avait été poursuivi par des crocodiles ; c'est pourquoi il avait été très heureux de rentrer chez lui !

En voiture...

L'été, en vacances dans les Vosges, mon père et moi allions en pleine forêt, là où un petit ruisseau coulait. Avec des cailloux, nous installions des constructions que nous baptisions barrages, hôtels... Nous revenions trempés, mais ma mère nous apportait des chaussures sèches bien que ne s'intéressant pas à nos projets architecturaux ! S'il pleuvait, mon père me disait que nous avions de la chance car il connaissait des tas de jeux d'intérieur et j'étais ravi. Lorsque je fus un peu plus âgé, il eut un moyen très efficace pour me faire travailler au lycée : j'allais au cinéma en fonction de mes efforts. Jamais je n'ai été giflé et j'apprenais les "bons principes" sans même m'en rendre compte. Par exemple, nous ne possédions pas de voiture, mais mon père en avait une à la mairie. Lui ayant demandé à y monter, il me répondit : "Tu n'y as pas droit puisque tu ne travailles pas à la mairie". Ma mère non plus n'en profitait pas. Puisque nous parlons de la voiture de la mairie, citons une utilisation mémorable. En 1940, après le départ des troupes françaises, Angers n'était plus défendu. Pour éviter que la ville ne soit prise pour cible, mon père et le chauffeur sont partis au-devant des Allemands avec, comme drapeau blanc, une taie d'oreiller. Ils ont risqué leur vie, mais Angers n'a subi aucun dommage.

Ramené à la mairie par la foule à la Libération

Mon père montra beaucoup de dignité pendant toute la guerre pour tenter d'éviter des complications continuelles avec les occupants. Le souvenir le plus beau de sa vie fut le jour de la Libération quand il fut ramené à la mairie par la foule qui l'applaudissait. Une anecdote qui marque une époque : quand mon père fut élu conseiller général en 1920, il était le seul à ne pas avoir de nom à particule au sein de l'assemblée départementale. Cela n'a pas empêché qu'il en devienne, par la suite, le président.

Mon père s'est éteint le 22 février 1952. Il avait été un homme plein de vie et de dynamisme, adorant travailler, s'occuper des autres, voyager. Homme de devoir, il n'en faisait pas étalage tant c'était naturel pour lui.

Alain Bernier

 

Page créée le vendredi 1er février 2008.