Horreur à Maldoror

 
  • Éric Verteuil
  • 1987 | 21ème roman publié
  • Horreur |
 

Date et lieu

Vers 1987, dans une villa de bord de mer...

Sujet

Il pousse un hurlement sans fin quand elle commence à découper ses bras comme un jambon, mais elle s'arrête à mi-course, avant que les tranches ne soient séparées les unes des autres.

Elle les soulève, glisse des pièces dorées entre les chairs sanguinolentes, et fait quelques points de suture.
- Mon cher monsieur, dit-elle, vous êtes cousu d'or ! (4ème de couverture, 1987).

 

Éditions

Couverture de Dugévoy.

  • 1ère édition, 1987
  • Paris : Fleuve Noir, juillet 1987 [impr. : 06/1987].
  • 18 cm, 152 p.
  • Illustration : Dugévoy (couverture).
  • (Gore ; 52). Collection dirigée par Daniel Riche.
  • ISBN : 2-265-03639-0.
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    Première page

    Chez Germaine Petitdemange tout est rond : tête, yeux, bouche, ventre. Et tout est blanc : cheveux, robe, maquillage.

    Tôt, le matin, elle sort de chez elle et se dirige vers les jardins publics, les promenades du bord de mer, les parcs. Elle recherche des vieilles personnes seules, s'approche avec un bon sourire et demande :

    - Vous permettez que je m'asseye près de vous ?

    Avant que l'on ait pu lui répondre, elle remercie, s'assied et commence à parler ; mais ses interlocuteurs ne résistent pas longtemps au torrent de paroles qui déferle… Ils se lèvent et s'éloignent.

    - Le coin n'est pas bon, constate à chaque fois Germaine Petitdemange, déçue.

    Elle reprend alors son chemin, espérant rencontrer quelqu'un qui l'écoutera. En effet, elle n'a qu'un plaisir au monde : parler ! Dans son quartier personne ne fait plus attention à elle, aussi doit-elle s'aventurer toujours plus loin. Depuis quelque temps, elle prend même le train ou l'autobus pour changer de secteur.

     

    Ce jour-là, Germaine marche dans un petit chemin qui longe la mer et, découragée par des tentatives infructueuses, se laisse tomber sur un banc.

    Quelques instants plus tard, elle voit apparaître une jeune femme brune, mince, à la démarche sportive, habillée d'un tailleur gris très strict.

    - Celle-là… elle ne va pas s'arrêter, marmonne Germaine qui a perdu l'habitude de penser en silence.

    Muriel Maraique passe la main sur son front, ralentit et se détourne. Elle sort un petit miroir de son sac et voit qu'une mèche blonde dépasse de sa perruque, elle la remet discrètement en place ; ce n'est pas le moment de commettre une erreur ! Les lunettes dont elle n'a nul besoin la rendent difficilement reconnaissable. Elle range le miroir à côté de la seringue puis, souriante, se dirige vers Germaine.

    - Puis-je m'asseoir ici, madame ?

    - Avec joie ! Je vous en prie…

    - Le temps est magnifique et cet endroit ravissant, n'est-ce pas ?

    Quelle surprise pour Germaine ! Non seulement elle n'a pas le premier pas à faire mais on lui demande son avis… C'est presque un miracle. En moins de dix minutes, elle raconte son mariage, son veuvage, sa solitude et l'ingratitude des jeunes.

    - Pensez… j'ai une petite-nièce que j'aime beaucoup, Jenny… Mais que je ne vois jamais. C'est ce que je lui ai encore dit hier… Elle préfère la compagnie des garçons à la mienne… S'il n'y en avait qu'un, ça serait normal… mais on ne les compte plus… C'est comme sa mère qui était déchaînée ! Je crois bien que tous les hommes du quartier y sont passés, sauf Ferdinand, mon époux… Parce qu'il n'a pas voulu.

    - Je le comprends, il vous avait !

    - Mademoiselle ! vous êtes vraiment trop indulgente.

    - Je suis très sincère au contraire ; vous avez beaucoup de charme et votre conversation est tellement brillante, tellement…

    Muriel s'arrête, elle se rend compte qu'elle en fait beaucoup trop et que ses propos outrés risquent d'alerter son interlocutrice.

    Pas du tout ! Germaine est aux anges ! Pour elle, cet entretien est une révélation ; depuis des années elle perd sont temps à discuter avec de vieilles personnes qui, égoïstes, ne pensent qu'à elles, alors que des femmes d'une autre génération, plus ouverte au monde, sont séduites par la vivacité de son esprit.

     

    Épigraphe

    Vous ne savez pas, vous autres, pourquoi ils ne dévorent pas les os de votre tête et qu'ils se contentent d'extraire, avec leur pompe, la quintessence de votre sang… (Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Chant deuxième).

     

    Revue de presse

    Nice Matin

    26 juillet 1987

    Un gore aussi saignant que les autres, mais avec une sacrée dose d'humour noir, un roman clin d'œil en somme. On en redemande.

     

    Anthologie du Policier

    1988

    Verteuil pastiche la collection Gore à l'intérieur même de cette collection. Hémoglobine à gogore.

     

    Bel effet Gore

    Anthologie dirigée par Jean-Philippe Mochon.- Paris, Fleuve Noir : février 1988. Jean Philippe MOCHON

    Les Torturaux du Vice
    et les infortunes de la Verteuil

    Pour le néophyte, rien, mais vraiment rien ne laissait prévoir chez Eric Verteuil, pseudo bicéphale sous lequel se dissimule étroitement deux merveilleux complices, publicateurs notamment au Fleuve d'une dizaine de guillerets romans d'intrigue aux titres évocateurs (La Raide morte, Le Drame au Camélia, La Flamme et le Pantin, Abus Roi...) une incursion même mineure dans le domaine du Gore. Imagine-t'on Yourcenar écrivant du cul, ou bien Sollers dialoguiste de Dallas ?

    Oui, bien sûr, quand le cul a du talent et si Dallas avait de l'humour. Mais nos esprits de Descartes et nos âmes prosaïques admettraient mal la chose, douillettement confortés par l'absolue certitude qu'un écrivain se doit de ne jamais changer de genre, sous peine d'effrayer un précieux lectorat. De ces fallacieux prétextes, Verteuil n'a que foutre. Pour les besoins de la cause, il a tout chamboulé. S'accommodant de la devise : Du blasé, faisons table rase !, il revendique d'un seul livre une nouvelle tendance propre à séduire ses thuriféraires : l'humour cynique dans l'horreur mondaine. Autrement dit, baise-main parfumé dans la tripaille qui dégouline, boyaux crevés dans un loft à Passy ou intestin grêle qui s'épanche dans un brunch avenue Foch. N'allez surtout pas croire qu'on est à la Coupole ; le talent protéiforme de ces deux maîtres d'œuvre ne s'arrête pas à la description tranquille d'un milieu qu'on nous dit par ailleurs suranné, mais explore jusqu'à ses pires limites, ses plus malsains tréfonds, l'atroce psychologie d'une femme, à la fois chef d'entreprise et criminelle sadique. Madame Maraique mérite de figurer dans les annales de la littérature gore et policière.

    Horreur à Maldoror, voilà le titre de ce roman qui pour la première fois dans la collection, dégage une réelle suavité narrative, car même dans la description des pires horreurs - et Dieu sait si ce livre n'en manque pas, la façon de Verteuil est une manière d'affleuration : on caresse l'insane sans avoir l'air d'y toucher, on flatte l'atroce avec un sensuel bonheur dans la plume.

    Il faudrait, pour bien en dire, évoquer chaque chapitre, narrer l'ingéniosité des crimes commis, raconter l'humour, partout, tout le temps présent... Mais il faut aussi que je pense à ceux qui n'ont pas lu Horreur à Maldoror. Alors, en forme d'hommage, je finis d'un sous-titre pour ce génial bouquin : Portrait de dame avec groupe.

     

    Page créée le lundi 8 décembre 2003.