Pierre Pelot

 

Pelot 1995-2004 : La décennie prodigieuse

Mise à jour indispensable, dix ans après l'hommage des Cahiers vosgiens.

Article de Raymond PERRIN,
inédit.
 

En 2004, c'est évident, Pelot totalise quatre décennies d'écriture, chacune ayant imposé une image différente et souvent schématique du romancier. Ces vues simplistes ne seraient-elles pas dues à des chroniqueurs un peu paresseux qui, au lieu de se livrer à une honnête analyse d'un livre, parfois à peine survolé, rempliraient leur page en se rabattant sur une accumulation de stéréotypes ? Une vie vouée à l'écriture mérite une approche plus attentive et approfondie !

A chaque décennie, une image pas toujours juste du romancier

On maintient l'image réitérée de "l'ours bleu" (seuls les initiés savent que la couleur est celle de la série d'oursons peints vers 1995), ou de "l'ermite de la forêt vosgienne" réfugié dans son antre, sa "maison-cocon-refuge" (que d'aucuns, bien mal inspirés, ont transformé en "ferme" !). Serait-ce avec la complicité d'un auteur, conscient ou non de participer à la construction de son propre mythe ou de feindre de l'organiser puisqu'il n'en peut mais, afin de continuer à écrire dans le minimum d'espace protégé ? En tout cas, l'écrivain longtemps "Lucky Luke" ou "forçat de l'écriture", aujourd'hui "homme aux 180 livres" (on ne prête qu'aux riches !), s'il demeure un "touche-à-tout polygraphe" a dû, pour préserver un minimum de santé, surtout après son accident cardiaque de Noël 1999, laisser ses doigts courir moins vite et moins longtemps sur le clavier de l'ordinateur.

Et le romancier, cassant aujourd'hui du mieux qu'il peut les clichés, de multiplier les séances de dédicaces, de répondre aux invitations des radios et télévisions, acceptant volontiers de participer à des festivals, à des salons littéraires, de Saint-Dié (Festival International de Géographie) à Nancy (Le Livre sur la Place) en passant par Épinal (les Imaginales) ou Colmar, à des rencontres, comme celles des Étonnants voyageurs à Saint-Malo, où il est en contact à la fois avec ses confrères des diverses générations (qui, comme Michel Pagel par exemple avouent leur admiration), et un lectorat très divers.

Quand rééditions et oeuvres nouvelles revigorent les genres pratiqués

Lors de la dernière décennie, alors que naissaient d'autres formes d'expression et non des moindres, les principaux genres abordés par Pelot ont été, soit revivifiés par des événements éditoriaux ou des oeuvres nouvelles, soit réactualisés par des rééditions aussi judicieuses que justifiées, poussant à la coexistence des images qui jusqu'alors ne s'imposaient qu'en effaçant plus ou moins les précédentes. En plus de ces beaux retours de flamme vers le fantastique, la SF, le conte et le récit juvénile multigenre, deux images majeures sont imposées par la monumentale saga préhistorique Sous le vent du monde et depuis peu, par l'immense roman (dans tous les sens du terme) : C'est ainsi que les hommes vivent.

Souhaitons que le succès salué par une critique unanime soit enfin le signe d'une notoriété irréversible même si Pelot était en droit d'espérer, avec des jurés plus courageux dans leur lecture, un prix littéraire à l'échelle nationale.

Ne négligeons pas pour autant l'activité de l'auteur de nouvelles (mieux connu grâce au recueil composé par Claude Ecken : L'Assassin de Dieu, en 1998), et de novélisations. Le labeur personnel, à partir des films Hanuman de Fred Fougéa et surtout Le Pacte des loups de Christophe Gans (plus convaincant que Brocéliande), dépasse largement le contrat imposé par une tâche d'abord "alimentaire".

C'est mal connaître Pelot de croire qu'il ne va pas s'approprier les sujets en racontant l'histoire avec son propre souffle. Le Pacte des loups, devenu un succès commercial grâce à un immense travail sur la langue pour une réécriture dans la langue de l'époque, est un des rares exemples en France de novélisation supérieure au scénario d'origine.

Flash-back éditorial sur le western, la SF et le fantastique

Pour ouvrir l'éventail des créations pelotiennes dans leur variété, un petit flash-back s'impose. Les gazettes aiment le rappeler : après l'expérience non publiée des bandes dessinées, il y eut la période initiale des récits d'apprentissage et des romans-westerns dont le premier, La Piste du Dakota renaît en 1999, aux éditions Pétrelle (puis en Folio en 2001) : belle occasion de redire, en préface, la fameuse attente "dans le couloir glacé de l'épicerie (du village)", du coup de téléphone annonçant que l'histoire "allait devenir un livre" ! Il y eut, en point d'orgue, la belle série des Dylan Stark, partiellement rééditée chez Lefrancq, dans deux gros volumes dont le deuxième présentait une introduction et un inédit : Plus loin que les docks. On a cru récemment que ce dernier atout pouvait favoriser la réédition canadienne des premiers volumes du cycle, encouragée par un concours d'illustration, mais cela n'a pu avoir lieu.

La période suivante multiplie déjà les aspects d'un créateur apte à couler ses récits dans des genres aussi divers que le roman psychologique pour adolescents, ancré dans le terroir vosgien (ces romans "sociaux", en phase avec les problèmes sociétaux de l'époque, semblant - à tort - les plus difficiles à rééditer aujourd'hui), la science-fiction, scrutant des thèmes parfois dramatiquement prémonitoires et le fantastique, en général plus apaisé.

Au "Goncourt des jeunes" succède l'image de l'auteur surdoué de la SF qui remporte des prix en 1977, 1978, mais aussi en 2001, avec le "Grand Prix de l'Imaginaire".

Les cycles et séries de science-fiction maintiennent l'image d'un raconteur engagé surtout dans une sorte de saga des "calamiteux", celle des "mangeurs d'argile" mais, en même temps, se côtoient un virtuose du roman noir "noir comme la vie" et un artisan des mots redécouvrant l'écriture manuelle pour des récits très littéraires.

Le retour sur scène de la science-fiction est double. Il s'effectue, en 1998-99, à travers les rééditions d'un cycle majeur, en six tomes : celui des Hommes sans futur, dans la collection Présence du futur et de l'indispensable et parfois déroutant Parabellum tango. Deux "classiques", pleins de bruit et de fureur, renaissent chez Encrage : Le Sourire des crabes et Les Barreaux de l'Eden. Alors qu'on ne l'attendait plus guère sur ce terrain, Pelot nous fait la surprise de publier une œuvre nouvelle de SF en 1996 : Messager des tempêtes lointaines. Une jeune femme, à la mémoire amputée par des gaz aberrants, assiste sur le chantier d'une poubelle nucléaire, à la "matérialisation" du "Sauveur" espéré par des marginaux interdits d'Histoire. Accompagnant dans sa fuite l'"Étranger", la jeune fille déchante : ce n'est qu'un clone électromagnétique en quête d'identité.

L'auteur pousse à son terme le leurre de l'illusion messianique à travers ce Sauveur, piètre mais touchante incarnation amnésique et déglinguée. Il aborde un autre thème récurrent : celui de l'Histoire interdite et falsifiée.

Mais qu'attendent les éditeurs actuels de SF pour rendre justice à des œuvres indispensables comme Transit, Le Sommeil du chien ou Mourir au hasard ?

L'aventure a flirté avec le fantastique (mais sans atteindre le haut niveau d'Une autre saison comme le printemps), à travers deux aventures de Matthieu Garden, publiées en 1995 et 1998 : Le Chant de l'Homme Mort (adapté à la télévision) et Les Pirates du Graal. Un journaliste-explorateur enquêtant sur la mort de son père découvre que le site de Montségur cèle un étonnant secret. Serait-ce le premier thriller métaphysique de Pelot ? Dans le deuxième épisode, au retour d'une expédition au Spitzberg, Matthieu Garden est victime d'un enlèvement, sans qu'il sache de qui il est le prisonnier.

Deux romans pour la jeunesse, dont l'un est illustré par l'auteur : La Fille de la Hache-Croix offre le double plaisir de plonger dans un fantastique (proche ici de la légende traditionnelle), et de renouer avec le cadre vosgien. Dans La Passante, Pelot conte une histoire d'amour "différente", forte, originale, à la fois tendre et féroce. Les adultes, surtout ceux qui ont manqué les gares des premières décennies, grâce à la Bibliothèque du fantastique, pourront faire marche arrière grâce à La Peau de l'orage, un recueil de 4 récits publiés au Fleuve Noir et devenus introuvables.

Polar et roman noir : au "rayon jeunesse" comme au "rayon adulte"

Le "rayon jeunesse", peu après la naissance des éditions Pocket-Jeunesse, s'illumine d'un petit événement : la collaboration des Pelot père (au scénario) et fils, Dylan (à l'illustration), pour les aventures de Vincent, le chien terriblement jaune, parues en Kid pocket, en 1995. Quatre autres charmants petits albums, pleins de poésie, d'humour et de fantaisie débridée et cocasse vont lui succéder, jusqu'à Vincent au cirque en 2003.

Le même secteur éditorial bénéficie de la réédition d'une histoire finement ciselée tant dans l'écriture que dans son climat (Le Père Noël s'appelle Basile), et s'enrichit d'un (faux) petit polar inédit : Cimetière aux étoiles, dans lequel les jeunes ados Junior Pierrot et sa copine Béguinette ont pris le risque inconscient de vouloir visiter en pleine nuit la "fosse communautaire" du cimetière !

Les adultes adeptes du roman de "terreur" découvrent, au milieu d'une collection réservée aux Anglo-saxons, chez Pocket en 1997, une réédition (trop fugace) du superbe récit La Nuit sur terre, un des meilleurs romans noirs de Pelot dont la présence serait peut-être plus appropriée et connue sur d'autres rivages ! Après que Denoël a rendu vie à deux romans : Le Bonheur des sardines, épopée portugaise tragico-burlesque, et Noires racines, resurgies d'un "bled" de la Haute-Saône, les éditions Verticales redonnent deux fois vie à La Forêt muette, sortie de son silence en 1998, puisque la collection Points a déjà repris le récit en 2000, un an avant que le titre le plus célèbre et le plus galvaudé par la presse : L'Eté en pente douce, entre dans la collection Folio Policier. Grâce à François Guérif et à sa collection Rivages noir, des romans noirs de Pelot sortent de la réserve. En particulier, Le Méchant qui danse et Natural Killer (faux roman criminel mais vraie mise à nu de son auteur, dans une langue envoûtante), Si loin de Caïn (un récit peu à peu gagné par l'horreur sournoise et l'angoisse diffuse dans un microcosme infernal, davantage à sa place dans cette collection qu'en littérature, dite "générale"). Il a fallu attendre 2003 pour que la collection accueille un "polar" inédit : Les Chiens qui traversent la nuit, une histoire urbaine tragique et fatale, dans une atmosphère de western-spaghetti.

Des rencontres déterminantes et stimulantes pour la création

Les "aventures littéraires" de Pelot devraient un jour être abordées avec l'histoire des rencontres qui ont pu infléchir ou confirmer ses désirs d'écriture, depuis celles de Hergé et de Philippe Vandooren, des éditions Marabout, jusqu'à l'amitié avec Yves Coppens et maints auteurs ou directeurs de collection (comme le regretté Jacques Chambon, chez Denoël).

Celle, au cours des années 90, de Christian Rauth, acteur connu de la série policière télévisuelle Navarro, avait d'autant plus encouragé Pelot à écrire pour le théâtre qu'il a paru fasciné, depuis toujours, par les comédiens, comédiennes et artistes de cinéma. L'écrivain avait déjà écrit des feuilletons radiophoniques comme Saisons vénéneuses, des scénarios télévisuels, comme Femme de voyou (d'après le roman d'Anne Livrozet), ou Le Matin des jokers mis en images par Robert Mugnerot. Mais la composition des pièces : Les Caïmans sont des gens comme les autres, jouée à Paris par Claude Piéplu et Christian Rauth, en 1991, au Théâtre de la Main d'or, et L'Ange étrange et la véritable vierge Marie Mc Do, créée en 1993, grâce à Benoît Fourchard et son "Théâtre en Kit", lui assurent un contact direct et chaleureux avec les metteurs en scène et les gens du théâtre.

Revers de la médaille, La Ville où les morts dansent toute la vie, Givre noir et d'autres créations, attendent un metteur en scène et l'écriture de pièces ne fait pas nécessairement sortir le compte en banque du rouge. Alors, le romancier opère un exercice original de "reconversion", du théâtre au roman. De la pièce non publiée, écrite avec Christian "Roth" (alias Rauth) : Les Caïmans sont des gens comme les autres , il tire un roman homonyme fort savoureux dans lequel un élu régional, politicien véreux en cavale, se réfugie dans le "Louisiane Hôtel", déglingué et tapi au fond d'une vallée vosgienne. Là, végètent le vieux Caron, un grand-père bougon, éleveur de gros "lézards" aux appétits féroces, et sa fille nymphomane. Cette "autre façon de raconter l'histoire", pleine d'humour, fait naître une sorte de western vosgien, entre vauriens et sauriens, rare dans le registre comique.

Une autre rencontre capitale, celle du paléontologue Yves Coppens, déjà complice pour ressusciter Le Rêve de Lucy (roman accessible à un plus large public dans la collection Points du Seuil, dès 1997). La collaboration devient si amicale et durable qu'elle permet l'écriture de l'immense saga préhistorique : Sous le vent du monde, forte de cinq gros volumes parus chez Denoël. "J'ai l'impression d'écrire pour la première fois un livre où il est question des hommes", confie Pelot à Claude Ecken, en 1996.

Une image forte imposée par la saga de "paléofiction"

Alors, Pelot effectue d'abord un plongeon d'un million sept cent mille ans vers un grand lac de l'Est africain. Il publie Qui regarde la montagne au loin un tel récit vigoureux et original d'une grande force imaginative que Jean-Louis Ezine et Gérard OEstreicher n'ont pas hésité à qualifier de "chef d'œuvre", ce "thriller des hominidés", cette fabuleuse épopée ! Chassée de son groupe, Ni-éi, différente des autres femmes, marche sur une terre inconnue où elle rencontre Moh'hr, celui qui regarde au loin et a aussi quitté son clan. Avec celui qui cherche la source de toutes les pluies, elle affronte fauves, feu du ciel et clans hostiles. Tous deux partagent des émotions nouvelles et les sons différents qui sortent de leur bouche vont forger des vocables communs.

Le deuxième tome de cette passionnante saga, Le Nom perdu du soleil, paru en 1998, évoque la rencontre dramatique des Xuah venus d'Afrique, et des clans autochtones de Loh. En Extrême-Orient, il y a un million d'années, les Xuah, maîtres du feu, sont en quête du soleil pour lutter contre les froids mortels. Les Loh, en aval d'un fleuve, connaîtront bientôt les bienfaits de la flamme. Ce qui anime surtout cette "paléofiction exotique", c'est la volonté d'échanger des savoirs, malgré les résistances de certains.

Le tome 3, Debout dans le ventre blanc du silence, paru en 1999, se situe aux limites de l'Asie centrale et de la péninsule européenne orientale où vivent les Oourham, ceux de la grande eau et ceux de la rivière. Ils savent faire du feu et utiliser le percuteur. Un membre maîtrisant la force du rêve guide chaque clan pour lui éviter les rigueurs du froid et le manque de nourriture.

Lorsqu'il publie Avant la fin du ciel, le tome 4, en 2000, Pelot est déjà remonté jusqu'à 65 000 ans avant notre ère, sur le territoire actuel de la France. Les Wurehwé, des hommes de Neandertal, fuient le froid vers le Sud. Eheni croit sauver son groupe de la famine en bravant l'interdit. Rejeté par les siens, il rencontre le groupe plus vivace et doté de la mémoire du passé des Wuohoun.

La saga prend fin avec Ceux qui parlent au bord de la pierre, 32 000 ans avant J.-C., quand se rencontrent les hommes dits " modernes " de Cro-magnon, les " homo sapiens sapiens ", et les Neandertal, installés bien avant eux en Europe. Chez les Doah, le chamane Dohuka se demande si la tribu doit rester au bord de la mer ou partir vers l'autre côté de la montagne, comme le frère du chamane et sa compagne en quête d'un nouvel espace.

Le chamane Dohuka célèbre l'inhumation des morts, sculpte les formes et projette sur les parois des grottes les images inspirées : il impose moins son image que celle de la femme Aruaeh, image centrale du récit, qui infléchit sa destinée au contact d'hommes vivant dans les huttes au cœur des terres. Elle endure les épreuves avec énergie et lucidité, jusqu'au terme d'une histoire d'amour et de haine, fragile et inattendue dans son dénouement.

Lorsqu'il a assimilé assez de connaissances préhistoriques pour s'installer dans le paléolithique, Pelot invente le "paléopolar", sans faire de concession anthropologique. Ainsi naissent les deux tomes du Livre de Ahorn, parus au Seuil en 1999 et 2000 : Le Jour de l'enfant tueur et L'Ombre de la louve. (Il n'est pas inutile, pour clore le chapitre de la "paléofiction", d'ajouter un récit documentaire juvénile à la publication trop discrète aux éditions du Sorbier : Au temps de la préhistoire, et la préparation d'un scénario télévisuel : L'Odyssée de sapiens).

Enfin se concrétise un rêve inabouti : le scénario de BD

Deux autres rencontres belges, celles de Hergé et de Philippe Vandooren, ont donné lieu à des amours contrariées vis-à-vis de la bande dessinée (et l'on s'abstiendra d'évoquer tant de projets avortés, de rêves déçus, autant d'ailleurs dans le domaine de la BD que dans celui du cinéma et de l'audiovisuel en général). On se le rappelle, le père de Tintin a plutôt conduit Pelot à privilégier la plume plutôt que le pinceau (néanmoins réutilisé pour la peinture de corps féminins voluptueux et sensuels, de petits cyclistes jaunes sous la pluie et d 'oursons attendrissant au cours des années 90). Le regretté Philippe Vandooren : "toi le frère que je n'ai jamais eu" pourrait chanter Pelot, connu d'abord chez Marabout, puis comme éditeur de Spirou et de Dupuis, réunit le romancier et le dessinateur Italien Emmanuel Vegliona. La rencontre du trio provoque la naissance de la série de BD de science-fiction : H.A.N.D., parue dans la fameuse collection Repères.

Alors que le tome 1, La Peau des ombres, est en librairie en 2002, il faut patienter jusqu'en juin 2004 pour lire Jungle de rouille. Pour cette concrétisation, si longtemps attendue, du rôle de scénariste de BD, Pelot n'a choisi ni la facilité, ni le récit simplement linéaire. Sur un canevas complexe, bâti autour des thèmes de la SF actuelle (avec le risque d'être apprécié après la parution de plusieurs épisodes), Pelot se limite à l'essentiel, laissant au dessinateur Emmanuel Vegliona le soin de mettre en valeur, avec conviction et talent, personnages, intrigue et décor, sans jamais être redondant par rapport au texte. Il faut donc signaler un rare et mutuel respect du travail de chacun, même si le découpage très serré demande une grande concentration. Sur le plan du récit, Pelot en maître incontesté de la SF, reprend et développe des thèmes qui lui sont chers.

Est-ce ainsi que Pelot est perçu ?

L'année 2003-2004 restera essentiellement marquée par la parution attendue du roman monumental : C'est ainsi que les hommes vivent, fort de ses 1120 pages.

Le roman, grand oeuvre de Pelot, où sont disséminés pour une fois de nombreux éléments autobiographiques, se développe en suivant, on le sait, deux trames parallèles et deux univers historiquement très différents, séparés par quatre siècles, celui des intrigues et des troubles du duché de Lorraine au XVIIe siècle et l'époque contemporaine, non moins exempte de turpitudes. Cette fresque historique vibre d'un souffle et d'une puissance admirables. L'œuvre aux rebondissements nombreux et inattendus, est saluée par une critique unanime, tant par des écrivains tels que Philippe Claudel, Claude Ecken, Jean-Louis Ezine, François Nourissier, Daniel Rondeau… que par les spécialistes du polar, du roman noir et de la SF. Bien avant ce livre, ils avaient salué le talent incontestable de Pelot. Ce n'est que justice puisque ce Grand Œuvre est, en fait, l'œuvre de toute une vie, un des aboutissements les plus époustouflants de travaux d'écrivain remis sur le métier depuis quarante ans.

L'ouvrage, sélectionné sur la première liste du Prix de l'Académie française, a obtenu le Prix de la Feuille d'or-France bleu Sud Lorraine lors du "Livre sur la place" de Nancy, et le Prix Erckmann-Chatrian. Faudrait-il d'abord attendre une "reconnaissance", d'ailleurs bien tardive de la Lorraine (- nul n'est prophète en son pays ! -) pour laisser espérer une reconnaissance plus équitable à l'échelon national ? Encore faudrait-il que l'entrée de Pelot dans les ouvrages lorrains s'effectue enfin (alors que les dictionnaires et encyclopédies au niveau national ont introduit le romancier dans leur rubriques depuis longtemps) ! Si le Dictionnaire des littératures régionales de Michel Caffier lui a consacré 10 colonnes, les encyclopédies Bonneton traînent encore les pieds. Tandis que l'Encyclopédie des Vosges 2004, après 163 romans publiés, aligne chichement 11 lignes, (illustrées de 5 couvertures des romans de Pelot) dans une ultime séance de rattrapage, celle de Lorraine ignore toujours l'écrivain frémis. Sans doute faut-il compter davantage avec le rayonnement du site Internet "officiel" de Pelot, à la fois son "Repaire" et son repère, constamment mis à jour grâce à la vigilance sans faille de Bernard Visse, pour élargir le cercle de la connaissance.

Le temps fera son œuvre, lui aussi. On le sait, les livres les plus difficiles à éditer, comme Le Sourire des crabes, L'Eté en pente douce ou Ce soir, les souris sont bleues (un des préférés de l'auteur, heureusement en Folio depuis 2000, et qui aurait déjà dû obtenir le Prix Erckmann-Chatrian il y a dix ans), sont souvent les oeuvres majeures, lentement découvertes, comme en avance sur leur époque. Reconnu jadis par ses pairs du roman noir, de la SF et du fantastique, Pelot, élargissant son audience, sait qu'il n'est plus seulement un "raconteur d'histoires" et un large public s'en aperçoit jour après jour. Espérons que sa saga préhistorique et son dernier gros roman ne soient pas les arbres qui cachent la forêt aux espèces variées et parfumées.

Après tout qu'importe : écrivain, il est né, écrivain il demeure et demeurera. Tout simplement peut-être parce qu'un beau jour de septembre, du bord de la jeune Moselle, des odeurs de vase sont montées des pierres asséchées de la rivière et ne sont jamais retombées...

Raymond Perrin, début mai 2004.

 

 

Page créée le samedi 29 mai 2004.