Noires racines

 
 
  • Pierre Pelot
  • 1985 | 111ème roman publié
  • Noir
 

Date et lieu

Au milieu des années 1980, dans la haute vallée de la Moselle.

Sujet

Quand ils se mettaient à être dingues, de ce côté-ci de la montagne, ils ne lésinaient pas ! Noé, Jeudi ou Lise, qui était le plus atteint de ces trois-là ? Jeudi dans cette chambre tapissée de filles nues, en train d'écouter des disques de hurlements et de bruits de guerre… Jeudi qui prenait des photos de sa sœur, des photos plutôt spéciales… et Lise qui se laissait faire…

Qui avait raison, de Noé affirmant que sa fille avait peur de son frère, ou de celui-ci disant qu'elle avait peur de Noé ? Et Noé avait-il réellement fait des saloperies avec son enfant, comme le prétendait le jumeau du mal aimé ? Recueilli par le vieux Noé, Popeye se croyait invité à faire partie de la famille. Mais c'était dans un nœud de vipères qu'il était tombé. Dans une de ces enclaves primitives où éclatent les tragédies… (4ème de couverture, 1985).

 

Éditions

Couverture de Ebéroni.

  • 1ère édition, 1985
  • Paris : Denoël, novembre 1985 [impr. : 10/1985].
  • 21 cm, 163 p.
  • Illustration : Ebéroni (couverture).
  • (Sueurs froides [3ème série ]). Collection dirigée par Michel Bernard (1984 - 1994).
  • ISBN : 2-207-23195-X.
  • Prix : 58,00 F.
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    Seconde édition de Noires racines.

  • 2ème édition, 1997
  • Paris : Denoël, février 1997 [impr. : 02/1997].
  • 21 cm, 163 p.
  • (Sueurs froides [4ème série ]). Collection dirigée par Jacques Chambon (depuis 1995).
  • ISBN : 2-207-24550-0.
  • Prix :
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  • 3ème édition, 2014
  • Paris : éditions Bragelonne, 14 avril 2014.
  • (Bragelonne Classic).
  • Livre numérique.
  • 124 p.
  • ISBN : 978-2-8205-1509-4.
  • Prix : 2,99 €.
  • Quand Popeye est recueilli par le vieux Noé, il s’imagine qu’il a enfin trouvé une famille sur laquelle compter. Mais c’était sans compter la folie des personnages étranges chez qui il est tombé... Entre Jeudi, obnubilé par les femmes nues – sa sœur y compris – et les bruits de guerre, Lise qui se laisse faire, visiblement apeurée mais par qui... ? Popeye semble vraiment mal tombé...
    Dans Noires racines, Pierre Pelot explore de nouveau ce qu’il y a de plus animal chez l’homme, et comment le drame peut vite éclater dans les lieux les plus reculés...
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    Première page

    Popeye ouvrit un œil et se sentit très mal, comme à chaque fois qu'il remontait du trou. Mal dans sa tête, mal dans sa peau. Au goût pâteux qui lui entartrait le palais et la langue, il estima sans erreur possible qu'il s'agissait d'une cuite au vin rouge. C'était bien la seule chose dont il puisse être sûr. Pour le reste, jusqu'à un certain point, de vagues souvenirs flottaient…

    Il ouvrit l'autre œil.

    Ferma la bouche et saliva avec ardeur afin de se décalcifier la langue. Du vin rouge, oui, et pas du meilleur. Probable que les autres lui avaient encore joué quelque tour de vache, lui faisant avaler des mélanges, ou saupoudrant de cendre de cigarette le contenu de son verre, des choses comme ça. Il ne chercha même pas à se rappeler, ce n'était pas la peine et il le savait. Mais il était à peu près certain que les autres en avaient profité pour s'amuser à ses dépens. Il ne leur en voulait pas. C'étaient des amis. C'était le jeu. Lui-même suivait la règle sans se faire prier, à la moindre occasion.

    Le vin rouge était encore ce qui se faisait de moins méchant. Le pire, c'était le blanc. Ou la gnôle. Ou le rhum. Sans parler des panachages inconsidérés, à la va-comme-je-te-bois au hasard des délires, qui vous explosent dans la tête et chavirent vos boyaux. Une cuite au rouge ne l'avait jamais fait dégueuler. Même les plus sévères. Les innommables.

    Il y a des types qui avalent n'importe quoi sans frémir, en quantité inimaginable. Popeye en connaissait. Patte-en-biais, par exemple, ou bien le jeune Charrodi qui enterrait de loin son frère aîné et prenait, à dix-huit ans, un départ remarquable. Incroyable. Les autres pouvaient toujours se lever de bonne heure, et même ne pas se coucher, tant qu'ils y étaient. Ce n'était pas la peine.

    En dépit de tous ses efforts de salivation, sa langue lui donnait toujours l'impression d'être taillée dans du carton, ou une vieille semelle. Le mieux, c'était de boire un coup. De repartir du bon pied. Tout compte fait, il ne se sentait pas trop bancal physiquement - mis à part une lourdeur vague au fond de la tête, derrière les yeux, et cette bouche de plâtre. Popeye avait dépassé depuis belle lurette le stade des migraines tambourinantes au réveil. Le plus désagréable, c'était de ne pas se souvenir. Après, les gens vous regardent d'un drôle d'œil et vous racontent des choses incroyables sans que l'on puisse jamais savoir s'ils blaguent ou s'ils sont sérieux. Un beau matin, on vous apprend que vous avez fichu le feu au village, et vous ne saurez jamais si vous êtes le vrai coupable…

    Il avait dû fumer plus que de raison. Cette sécheresse qui lui tapissait la bouche, à ce point, ne pouvait être causée que par le tabac. Le tabac, c'est bien plus mauvais que l'alcool. En temps ordinaire, Popeye ne fumait guère ; il s'y mettait quand il commençait de glisser dans le trou. Quand il glissait dans le trou, il faisait n'importe quoi - et ensuite, les gens lui racontaient, il feignait de ne pas les croire mais au fond il avait plutôt tendance à tout gober. Le tabac, c'est très mauvais. Popeye décida qu'un jour il cesserait de fumer tout à fait.

    Il soupira, se redressa lentement, précautionneusement, et là, un moment, attendit que les choses se mettent en place sans fracas, assis sur le bord du lit. Il regarda sa montre - une montre terrible qui se remontait toute seule et fonctionnait pendant une éternité sans qu'on s'en occupe. Le cadran numérique lui apprit qu'il était midi cinq, samedi 30 avril.

    Samedi toute la journée.

     

    Épigraphe

    … Dans cette forme blanche, svelte de la femme aussi bien que dans les noires racines maussades et noueuses, j'ai voulu exprimer quelque chose de la lutte de la vie… (Lettre de Van Gogh à son frère Théo, avril 1882).

     

    Page créée le mardi 11 novembre 2003.