Les Barreaux de l'Eden

 
 
  • Pierre Pelot
  • 1977 | 66ème roman publié
  • SF
 

Revue de presse

Science-Fiction magazine

Mensuel, n° 4, printemps 1977. P. 34, Marianne LECONTE

Les Barreaux de l'Eden approfondissent le même thème en le traitant de façon tout à fait différente. La vie n'était déjà pas rose dans le précédent, mais dans celui-ci, les dés sont vraiment pipés. La société s'est structurée en trois couches sociales bien distinctes qui n'ont que de vagues relations entre elles. Pour chaque strate, des croyances religieuses adaptées et surtout une après-vie différente : pour les C et les B, l'immortalité de l'âme est un fait prouvé puisque les gens peuvent, grâce à une drogue, converser avec les morts du paradis. Seul point de détail, on accède à cette immortalité d'autant plus facilement que l'on meurt de son plein gré, dans la force de l'âge. Pour les A, c'est à dire la classe dirigeante, l'Eden consiste en une planète lointaine vers laquelle ils s'envolent lorsque leur temps sur Terre a été bien rempli car ils ont trouvé le secret de l'immortalité.

Mais que ce soit dans Foetus Party ou dans Les Barreaux de l'Eden, les êtres humains sont toujours manipulés et même ceux qui tirent les ficelles ne sont souvent que des marionnettes.

Si l'on sent encore dans Foetus Party les défauts dus à quelques années d'écriture trop rapide, un certain manque de rigueur, par exemple, Les Barreaux de l'Eden sont l'aboutissement, le sommet, bref, le meilleur récit écrit par Pelot jusqu'à présent.

En tout cas, ces deux romans, rejetons directs du Meilleur des mondes de Huxley, annoncent la deuxième naissance d'un écrivain... si les dés ne sont pas pipés !

 

L'Express

14-20 mars 1977

Une drogue fantastique, l'ANC X : elle permet le contact avec les morts. Maintenant, l'homme sait qu'il survit à sa destruction corporelle - l'âme, ça existe. Le monde où cette fabuleuse révélation a été faite n'en est pas plus heureux, cependant : divisé en classes rigides après la Grande Guerre atomique, il ne favorise qu'une poignée de puissants. Pierre Pelot est un écrivain à part dans la S.-f. française. Plein de talent.

 

Galaxie

N° 154, avril 1977, pp. 146-150. Philippe CURVAL

[…] Passons donc à l'événement du mois. Du mois dernier? Du mois prochain ? Disons l'événement d'un mois et même de plusieurs mois, puisque la sortie des trois premiers livres de Pierre Pelot, en dehors du Fleuve Noir où il écrit sous le nom de Suragne, va marquer nécessairement l'actualité du premier semestre de cette année. Il s'agit, pour l'instant, des Barreaux de l'Eden chez J'ai Lu, de Foetus Party chez Denoël et, prochainement, d'un troisième titre à paraître dans la nouvelle collection Presses Pocket. D'après la bibliographie que j'ai sous la main, Pelot-Suragne aurait écrit déjà 70 romans, ce qui va porter son score à 73, sans compter tous ceux qu'il aurait pu écrire sans les publier ou ceux qu'il aurait publié sans les écrire, et tout cela à trente ans, enfin environ trente ans. Certains pourraient s'étonner de cette prolixité, et penser que le malheureux est épuisé. Pas du tout, la caractéristique essentielle de Pelot est d'avoir de l'imagination ; nul doute donc qu'il en fera plus d'une centaine s'il a le temps matériel de les réaliser, comme tant d'autres avant lui, glorieux briscards de la littérature expansée, Zevaco par exemple, qui n'a écrit qu'une trentaine de volumes dans sa vie, mais dont la longueur moyenne approche pour chacun les deux millions de signes, soit cinq à six Fleuve Noir.

A propos du Fleuve Noir, vous avez peut-être remarqué que je n'ai jamais évoqué le moindre livre de cette collection, sauf cas de réédition, dans ces improvisations nocturnes ; la raison en est simple : je déteste les maisons d'édition qui me refusent des textes, et particulièrement Les Sables de Falun… Je suis donc d'autant plus libre de parler des Pelot que je n'ai jamais critiqué de Suragne (il parait que depuis mercredi dernier, ? février, le ministère de l'Éducation Nationale, par décret du Journal officiel, autorise d'écrire les Suragnes que je n'ai jamais critiqué [sic]). D'abord Les Barreaux de l'Eden : ce que l'on perçoit immédiatement, c'est la volonté d'écrire un roman de SF très classique, avec une minutie de détails destinée à recréer un univers imaginaire mais cohérent, un véritable travail de professionnel sous lequel percent les intentions secrètes de l'auteur, à travers des phrases furieuses qui explosent comme des grenades au milieu du récit, comme si, en se regardant écrire une oeuvre à laquelle il ne participerait pas intégralement, le romancier voulait y ajouter son propre commentaire. C'est là où se révèle le goût sauvage d'un imaginatif qui ne s'embarrasserait pas de préjugés littéraires s'il avait les moyens de vivre d'autre chose que de sa plume, D'où, dans ce roman intéressant, mais confus, tant de chapitres où il se passe peu de choses, où l'auteur s'endort un peu au fil de la plume, suivis de pages fulgurantes où les faits et les idées vous sont assenés avec violence. De même, le style, si brillant parfois, est souvent hasardeux, les phrases sont emportées par un torrent de la machine à écrire et rattrapées d'un coup de lyrisme ou d'humour, témoin cette erreur de syntaxe que commet Pelot et qu'il corrige avec une agréable vivacité : "Elles (cinq rousses) faisaient partie du décor au même titre que les paniers de plantes vertes. Presque. Elles répondirent au salut de Herth avec empressement ; pas les plantes vertes".

Donc, désinvolture dissimulée sous un sérieux apparent quant à l'écriture : i1 semble qu'il n'y ait pas de différence formelle essentielle entre Pelot et Suragne.

Abordons maintenant le thème où se reproduit, à l'envers, le même phénomène. Visiblement, dans Les Barreaux de l'Eden, Pelot s'est dit : pour sortir du FN, je vais mettre le paquet ! (Phrase publiée sans l'autorisation de l'auteur). Il choisit donc un. sujet ambitieux : le rôle de la religion dans les sociétés futures. Pour cela, il invente une société triphasée où, partant du bas vers le haut, l'homme a droit à l'espoir de dialoguer avec les saints, à l'espoir d'approcher de la sainteté, à l'illusion d'être un saint, soit trois classes C, B et A. Baher, l'un des deux personnages centraux, est un B. Pour lui, son avenir est tout tracé ; à la veille de sa retraite, il va communiquer une dernière fois avec Emlie, sa femme défunte, qui vit au paradis avec Jagor, le prophète. Jov, un pauvre C, n'a droit qu'à la défonce pour éviter de devenir fou, ou bien peut-il, à la rigueur, applaudir Jedith, la chanteuse superpop imposée par les médias. Costerman, lui, est un A. Il fume d'abominables cigares - le cigare, pour ceux qui n'en fument pas, est toujours le symbole de la puissance. Il s'agit en fait de feuilles de tabac naturel roulées ensemble et d'un arôme agréable. Costerman n'a que mépris pour tous ceux qui n'ont pas accès à la vérité suprême, celle qu'il détient avec quelques privilégiés : cette civilisation ressemble au racisme, elle a le goût du racisme, mais ce n'est pas du racisme, car ce sont les élites qui l'ont imposée à l'humanité pour lui éviter de dépérir.

Ce système ne convient pas à tout le monde, mais personne n'a les moyens de s'en sortir, l'aliénation religieuse est la forme supérieure de la politique. Aussi, les uns après les autres, les héros vont s'engluer dans leur destin sans y pouvoir rien changer.

On le voit, l'idée est forte, la démonstration du propos l'est moins. Surpris par ses propres idées, Pelot ne parvient pas à aller jusqu'au bout de ses intentions. Les deux épisodes-clés du livre, la défonce et le passage, restent un peu en-deçà du délire, pleins de clichés, parfois tirés à la ligne. Bref, ce qui fait la force principale de Pelot, désinvolture, humour, imagination, se trouve endigué, policé par le thème même qu'il veut traiter. Pris dans les rets de son histoire, il parvient mal à s'en évader, s'envase dans les détails mineurs sans pouvoir véritablement décoller. Est-ce le passage d'une science-fiction à une autre, d'une collection populaire à une plus ambitieuse qui l'a anesthésié ? Sans doute. Restent les apartés, les à-côtés, les anecdotes, les réflexions sous-jacentes qui tapissent les sous-sols du roman et qui font, de temps an temps, des Barreaux de l'Eden une vraie fête.

 

Libération

6 avril 1977. Bernard BLANC

La suite de "Jack Barron" ?

On a bien fini par appuyer sur le bouton, et on s'est payé une belle petite guerre biologique qui a permis de régler en vitesse les problèmes de surpopulation. Les survivants n'ont pas eu l'idée de réfléchir aux causes de cette catastrophe : ils ont foncé tête baissée dans un système sécurisant fabriqué de toutes pièces par quelques individus qui ont décidé d'améliorer le capitalisme à leur profit exclusif. C'est le thème du nouveau roman de Pierre Pelot, un auteur français de SF de 32 ans, dont la production a de quoi étonner : il en est déjà à son soixante-dixième roman, dont trois adaptés à la télévision (on a pu voir Le Pain perdu ces jours-ci sur la première chaîne) et peut fabriquer un livre de 200 pages en deux ou trois jours, au milieu de la forêt vosgienne, dans une maison qu'il a tenu à construire de ses mains. Étonnant personnage que Pierre Pelot qui a réussi à glisser au Fleuve Noir (sous le pseudonyme de Pierre Suragne) et dans des séries pour adolescents, des livres qui expriment en filigrane toutes les idées de l'extrême-gauche, sans pour autant faire de la littérature de laboratoire ou pour militants initiés. Au contraire : Pelot est un auteur très populaire, et il se bagarre sur un front où les autres auteurs de SF ne vont pas souvent. Les Barreaux de l'Eden (J'ai Lu) sont un peu l'aboutissement de cette volonté populaire au service d'un profond désir de changement social.

Il est bien rare que la SF d'aventures traduise aussi clairement que ce roman les rapports de classe. Généralement, les questions essentielles y sont toujours sacrifiées au profit de rêves démobilisateurs et de fantasmes réactionnaires.

Trois classes : A-B-C. Les B et les C ne sont bons qu'à travailler et à obéir. Quand ils ont des problèmes, on leur offre une petite "défonce" et le reste du temps, leurs seules joies sont la TV et les shows pleins de paillettes. Bien entendu, les ressemblances avec notre réalité sont fortuites ! Les A, quant à eux, s'offrent des semaines de vacances dans les manoirs d'Irlande, les résidences sur la Côte d'Azur (ici, le "Domaine méditerranéen") et des plaisirs sadiques dont les B et les C font les frais. Car toute la société est organisée par l'élite pour contrôler et canaliser les désirs de révolte des classes inférieures. Et surtout pour éliminer légalement les individus qui ont servi, que l'on a pressés et que l'on jette quand ils ne sont plus bons.

Il faut vous dire que l'Élite a découvert le secret de l'immortalité et qu'elle est obligée de se le réserver si elle ne veut pas voir la Terre envahie par des millions d'hommes… Pelot nous donne ici une suite à Jack Barron et l'éternité de Spinrad. La vie éternelle pour quelques-uns. La mort pour tous les autres.

 

Le Figaro

7 mai 1977. Michel NURIDSANY

Immortalité

L 'immortalité de l'âme est maintenant une certitude absolue. Cela étant acquis, les hommes vont accepter désormais avec plus de philosophie les horreurs de ce monde, la surpopulation, les contrôles de toutes sortes et les classifications génétiques. Ils acceptent en outre de se présenter eux-mêmes à la mort avec la joie sereine des élus. Mais Alex Jov refuse cette foi. On va entreprendre de le guérir, car seul un malade peut douter. Sur ce thème, Pierre Pelot nous propose une variation habile et originale

 

Le Magazine littéraire

N° 125, juin 1977. Antoine GRISET, p. 58

Il fait paraître en même temps , toujours sous son vrai nom, aux éditions J'ai lu : Les Barreaux de l'Eden. Encore un court roman, écrit encore au galop, mais tout aussi percutant et violent que le précédent. Pelot a "du métier", comme on dit, une grande facilité d'invention, et des idées qui lui tiennent à cœur et qui sont autant de convictions profondes. Ce sont elles qui donnent cette puissance à ses récits; ce sont elles qui font de lui un écrivain authentique, car elles animent profondément tout ce qu'il écrit. On aimerait néanmoins qu'il s'arrête un peu d'écrire si vite, qu'il perde un peu quelques-uns des tics acquis à rédiger des romans pour vivre, et qu'enfin il puisse écrire ce (ou ces) roman(s) plus achevé(s), plus dense(s), dont on le sent parfaitement capable et qu'on peut légitimement attendre de lui. Si vous ne connaissez pas Pierre Pelot, il faut le découvrir.

 

Construire

Organe de la Fédération des coopératives Migros (Zürich), 12 juillet 1978

Littérature de la paranoïa par excellence, la SF abonde en descriptions de sociétés bloquées, mondes hyper-hiérarchisés, startifiés en castes, où le contrôle social atteint enfin cette perfection inattaquable dont rêvent certains hommes d'ordre. Pierre Pelot, l'un des auteurs français les plus prolifiques du moment, décrit un de ces mondes dans Les Barreaux de l'Eden, roman qui soutient fort bien la comparaison avec les meilleures anti-utopies anglo-saxonnes.

 

L'Année 1977-1978 de la Science-Fiction et du fantastique

Paris : Julliard, 1978.- J.-P. F., p. 207

L'histoire : La découverte de l'immortalité de l'âme a transformé les données sociologiques. Les moins nantis n'aspirent qu'à mourir le temps venu. Mais certains d'entre eux doutent. L'immortalité peut-elle être partagée par tous ?

A notre avis : Pierre Pelot bouscule le traditionnel, ouvre des portes, renverse les barrières à la manière d'un ouragan. Son style, sans fioritures, rend son propos plus efficace. En s'attaquant à la mort, il fallait du talent. Essai méritoire et réussi.

 

Pourquoi j'ai tué Jules Verne

I/1978 , Bernard BLANC, pp. 343-344

On a bien fini par appuyer sur le bouton et on s'est payé une belle der-de-der biologique qui a permis de régler en vitesse les problèmes de surpopulation.

Les survivants, à l'opposé de ceux de Malevil, n'ont pas eu l'idée de réfléchir un peu aux causes de la catastrophe, aux causes politiques, s'entend. Ils ont foncé tête baissée dans un système social sécurisant, fabriqué de toutes pièces par quelques individus qui ont décidé d'améliorer le capitalisme à leur profit exclusif. A trente-deux ans, Pierre Pelot a déjà soixante-dix romans derrière lui, dont trois adaptés à la TV. 1977 a vu paraître, en plus des Barreaux de l'Eden, quatre autres romans de S.F. politique, tous quatre d'une exceptionnelle qualité.

Je suis parfaitement heureux de terminer par lui cette petite liste de livres à ne pas rater parce qu'ils ont fait la S.F. de ces dernières années. Les Barreaux de l'Eden est un roman sur les rapports de classe. Un roman marxiste d'aventures ou vice-versa. Trois classes : A-B-C. Les B et les C travaillent et obéissent. Quand ils ont des problèmes, on leur offre une petite "défonce" et le reste du temps, quand ça va bien et qu'ils ont des loisirs (pas beaucoup), ils s'éclatent devant leur TV.

Les A, quant à eux, tiennent le pouvoir et s'offrent des semaines de vacances dans leurs manoirs d'Irlande et sur la côte d'Azur. De temps en temps aussi quelques plaisirs sadiques dont les B et les C font les frais.

L'élite au pouvoir a organisé un jeu savant qui permet d'éliminer légalement les déviants, les révoltés et les dingues. Ils s'amusent comme des fous, juste comme s'amusaient les gardiens de camps de concentration, avec la TV en plus.

L'élite a découvert le secret de l'immortalité, et pour ne pas sacrifier ses grands espaces de vacances et de chasse, elle le garde précieusement. La vie éternelle pour quelques-uns et la mort pour tous les autres : c'est l'aboutissement logique du capitalisme et on se demande comment il a fait pour ne pas encore y arriver. Pierre Pelot offre maintenant à tous ses amis marxistes une histoire de fin du monde où le Capital est oublié pour des problèmes bien plus terre à terre.

C'est sur ce texte que se refermera ce petit tour d'horizon de la nouvelle S.F. française. Rideau. Obscurité.

 

Le Sommeil du chien

Roman de Pierre PELOT, Kesselring éditeur, décembre 1978. Joëlle WINTREBERT, p. 213-214

Tout l'esprit du roman se trouve résumé dans une petite phrase du dernier chapitre : "Le monde n'est pas rond, mais pyramidal". Une pyramide à trois étages qui a poussé jusqu'à la caricature efficace des structures sociales archétypiques. Trois étages, trois classes : A, B, C, trois modes de vie bien cloisonnés. En bas, les "Dup-Smith", Classe C, lumpen-prolétariat, en haut "L'Élite", Classe A, dirigeants-grands bourgeois-artistes normatifs, et au milieu, la classe B, personnel-flic d'encadrement, procédant plus de la base que des sommets mais pouvant exceptionnellement atteindre ces derniers. Désirer passionnément gravir l'échelon supplémentaire qui vous livrera le Pouvoir détruit dans l'œuf toute velléité de révolte : pour monter, il faut être conforme , et, l'Élu A, "transfuge" de B, ne regardera ceux qui sont restés en arrière qu'avec une condescendance méprisante, horrifié à la pensée qu'il pourrait encore faire partie de leur masse grouillante. Quant aux rouages productifs que sont les C, ils sont si bien aveuglés par leur conditionnement culturel et la certitude de leur infériorité génétique (explication bien pratique pour faire accepter la division de la Société en trois classes) qu'ils sont parfaitement inoffensifs. Pour les asservir en toute tranquillité, (eux et ceux de la classe B), on leur fait croire à l'Eden "pour après"… Immortalité de l'âme, ce monde est digne, religion : opium du peuple… Malheur à ceux qui souffrent de la "Maladie de l'Incrédule" car les flics de l'Équilibre et les Maisons-défonce les guettent. Est pratiquée dans ces dernières une forme sophistiquée de psychanalyse, laquelle ne fait qu'exacerber là son rôle actuel, un rôle fondamentalement démobilisateur puisqu'il s'agit de vous faire "reconnaître" vos fantasmes, votre déviance, etc… (dans le roman, de s'en délivrer par un passage à l'acte réel) de telle façon que vous puissiez vous intégrer dans le contexte social que vous rejetiez précédemment.

Le roman serait manichéen si la classe A n'était, dans son désir d'immortalité physique, manipulée elle aussi par l'Élite de l'élite (seule à connaître la vérité du fonctionnement de ce monde).

Tirant sur les fils de ses marionnettes de chair et d'os avec un art consommé du suspense, Pelot nous entraîne d'une traite d'un bout à l'autre de son récit jusqu'au point d'interrogation qui le suspend plus qu'il ne le termine. Il faut relire Les Barreaux de l'Eden car la bombe, sans se désamorcer, ne vous livre qu'alors le minutieux travail de tous ses engrenages… Un roman fort, profondément pessimiste.

 

Catalogue des âmes et cycles de la S.F.

Paris : Denoël, 1981, Nouv. éd. rev. et augm. (Présence du futur; 275). Stan BARETS, p. 223-225

Villes surpeuplées, individus cloisonnés, hiérarchisés, encadrés par les Flics de l'Équilibre et les Maisons-Défonce,... Une seule porte de sortie, l'Immortalité : un opium du peuple qui partira en fumée...

 

La Liberté de l'Est

14 février 1995. Raymond PERRIN

Pierre Pelot : un maître reconnu de la science-fiction et du fantastique français

[...] L'anti-utopie ou le cauchemar garanti cousu main

Après le cataclysme destructeur, les Terriens n'ont pas pour autant avoir acquis la sagesse. Des pouvoirs parfaitement organisés, avec l'appui des instances religieuses et idéologiques ont recréé les hiérarchies sociales, avec en prime un "paradis" adapté à chaque couche.

Ceux qui sont enfermés derrière Les Barreaux de l'Eden sont soigneusement cloisonnés. Dans cette société pyramidale et hiérarchisée, certains savent l'existence réelle des classes, des contacts avec l'au-delà et la drogue censée permettre la "communication" avec l'Eden. Étrange jeu de marionnettes livré à l'échelle du monde. [...]

 

Galaxies

N° 12, mars 1999. Claude ECKEN, pages 176-177

Après une guerre bactériologique la société s'est divisée en trois classes génétiques distinctes, A, B, C, la classe A représentant l'élite intellectuellement supérieure, la B encadrant la classe C, celle des Dup-Smith, au raisonnement limité, cantonnés dans les tâches manuelles. Il n'y a pas de lutte des classes car le paradis est promis à tous. Jagor Jean le prophète en a prouvé l'existence grâce à l'ANC X, la drogue qui permet d'entrer en contact avec les défunts.

Seules les classes B et C peuvent dialoguer avec les Âmes des disparus. Les déviants en passe de devenir des Incrédules sont soignés à l'aide d'une drogue, lors de séances de Défonce qui les libèrent des interdits et leur permettent d'assouvir leurs fantasmes. Les classes A n'ont pas besoin de Contacts car ils disposent d'une immortalité plus immédiate grâce une autre drogue, également nommée ANC X. Quand leur longévité risque de semer la suspicion auprès de leurs collègues, ils s'en vont, après des siècles de bons et loyaux services, sur une planète de rêve, Alphan, qui leur est réservée.

La religion, alliée à la politique, est, littéralement, l'opium du peuple.

On se doute que cette société basée sur l'exploitation des Dup-Smith repose sur une duperie si énorme qu'elle paraîtrait à peine crédible s'il n'y avait des régimes politiques et religieux pour rappeler qu'elle est possible. Elle reste cependant fragile, car un simple concours de circonstances peut la mettre à jour, comme le démontre le récit.

Le classe C Alexis Jov étouffe dans cette société cloisonnée. Il récupère dans une bousculade le médaillon de la chanteuse populaire Jedith, qu'il garde précieusement sans en parler à personne. La star, désireuse de récupérer le bijou, met ainsi le doigt sur la supercherie sans cependant parvenir à la dénoncer. Le sentiment d'impuissance, le désespoir atteignent à des degrés divers les protagonistes parfois au bord de la folie. Le plus horrible est encore que cette mécanique bien huilée se perpétue seule : il n'y a pas d'ennemi à abattre, seulement, tout en haut de la hiérarchie, des élites bien trop terrifiées pour tirer leur épingle du jeu autrement qu'en devenant un rouage du système. C'est ce qui fait la force et l'actualité de ce roman vingt-deux ans après sa première parution, la peinture d'un 1984 version capitaliste, où les nantis de demain s'assurent la servilité des classes populaires par la croyance en un Eden inexistant.

 

 

30 juin 2004. Raymond PERRIN

L'Eden est-il un simple jeu de dupes ?

Ceux qui sont enfermés derrière Les Barreaux de l'Eden sont-ils des privilégiés ou des exclus ? Berni C. Baher est pourtant satisfait. Membre de la "classe B", il vient d'obtenir un "contact" avec son épouse Elmie, pourtant décédée. Naram Herth, attaché aux Maisons de Défonce, peut rendre grâce à son père : il a fait de lui un sujet d'élite, de la "classe A", lui permettant ainsi d'habiter un quartier du "Domaine Méditerranéen" et d'entrer bientôt dans la "Maison-Repos du Désert-Var". Jov, Dup Smith de la "classe C", au bas de l'échelle sociale, comme son amie Luda, a volé le médaillon de la chanteuse Judith, contrariée, mais surtout préoccupée par son voyage sur "Alphan" et "Eden II". Costerman, coordinateur au Service des Gardiens de l'Équilibre surveille tout ce petit monde ...

En 2648, après un grand cataclysme biologique, la société est donc pyramidale et hiérarchisée et, si les humains acceptent "les prisons de ce monde", c'est parce qu'ils espèrent un voyage "vers l'Eden", grâce à la fabuleuse drogue de l'ANX !

Trois couches sociales bien distinctes et rigides : A, B et C, aux croyances adaptées, composent donc le nouveau monde de survivants. Les membres des classes B et C sont destinés au travail et à la soumission. En guise de consolation, on leur fait croire qu'ils peuvent entrer en contact avec l'âme de leurs chers disparus. Les privilégiés de la Classe A peuvent bénéficier de vacances de rêve en Irlande ou sur le Domaine méditerranéen, tout en s'offrant des plaisirs sadiques dont les membres des classe A et B sont les victimes. Par exemple, Jov, envoyé en Maison-Défonce, se laisse aller à ses pulsions agressives et sexuelles, contrôlées par Herth, manœuvré lui-même et mis dans la nasse par Costerman. Ainsi l'élite assouvit et canalise les désirs de révolte des classes inférieures avant de les éliminer. Mais que se passe-t-il lorsque les membres "élus" de l'élite supérieure s'aperçoivent à leur tour qu'ils sont autant manipulés que ceux qu'ils exploitent sans vergogne ?

Ce jeu de dupes, cette étrange manipulation à l'échelle du monde fait ressortir une fois de plus l'utilisation de la religion comme un puissant opium du peuple, alors même que "l'élite de l'élite" sait l'inexistence de cet Eden. L'ouvrage dépasse le seul aspect politique du rapport de la lutte des classes pour proposer une réflexion plus générale sur les croyances, le pouvoir, les loisirs et surtout une prise de conscience salutaire sur ce cynique jeu de marionnettes auquel se livrent les hommes, à l'échelle du monde.

 

Page créée le samedi 25 octobre 2003.