Paradis Zéro

 
 
 

Date et lieu

Dans un futur proche, à La Nouvelle-Orléans.

Sujet

Les histoires ne sont jamais ce qu'elles devraient être, ou ce qu'elles pourraient. A la vérité, les histoires ne sont jamais ce qu'elles sont. Tant de facteurs interviennent entre leur réalité profonde et la perception que vous pouvez en avoir. Les histoires, et voilà leur drame permanent, ne parviennent jamais à communiquer parfaitement avec ceux à qui elles s'adressent, qu'elles essaient parfois d'intéresser, sinon de convaincre. Ceux dont elles essaient de retenir l'attention.

Tout simplement, les histoires viennent d'une autre réalité, d'un autre monde, et chaque fois qu'elles le quittent, c'est pour une tentative de conquête - une émergence dans une autre réalité qui est la vôtre. Alors… Alors, que dire de celui qui se propose d'être passeur ? Celui dont le rôle consiste à aider les histoire à vivre ? Car il ne sait jamais lui-même ni pourquoi ni comment il doit jouer ce rôle. Ni pourquoi ni comment. Tout ce qu'il sait, c'est que l'utilisation faite de son travail obéit au pouvoir de l'horreur, et qu'il ne peut y échapper s'il veut vivre, que chaque mot écrit ou prononcé contient sa charge de danger pour les autres. Chaque mot, pareil à une sentence… (4ème de couverture, 1980).

 

Éditions

Couverture de Les Edwards.

  • 1ère édition, 1985
  • Paris : Fleuve Noir, février 1985 [impr. : 12/1984].
  • 18 cm, 186 p.
  • Illustration : Les Edwards / Vloo, Young Artists (couverture).
  • (Anticipation ; 1355).
  • ISBN : 2-265-02877-0.
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  • 2ème édition, 2014
  • Paris : éditions Bragelonne, 18 août 2014.
  • (Bragelonne Classic).
  • Livre numérique.
  • 151 p.
  • ISBN : 978-2-8205-1699-2.
  • Prix : 2,99 €.
  • Que deviennent les histoires une fois qu'elles ont été créées ? Suivent-elles les règles qu'on leur a imposées ou s'émancipent-elles, deviennent-elles indépendantes et partent-elles vers de nouveaux horizons ? À la Nouvelle Orléans, les histoires des narrateurs-concepteurs, ces personnes qui créent de toutes pièces la réalité, vont-elles se soumettre à leur auteur ou changer leur destin ? Et que dire de ces hommes qui ont le pouvoir de changer nos vies ?
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    Première page

    A l'image, le paysage était très blanc, trop, avec une lumière qui saturait et bavait dans les zones d'ombre. Ce défaut d'éclairage qui sabotait la photo ne donnait pas le rendu recherché... Mais c'est souvent comme ça. Ils ne fignolent pas ; leur problème est ailleurs, si problème il y a, ce dont je ne suis même pas sûr. J'essaie de construire au mieux un paysage, une ambiance visuelle, je leur donne un maximum d'informations et ils n'en utilisent pas le dixième. Ou alors ils dérapent. Ils composent. Je sais bien qu'ils ne sont pas seuls en cause et qu'ils doivent évoluer dans les créneaux précis de certains barèmes, je sais bien qu'ils ne sont pas maître du jeu, évidemment.

    C'est une de mes certitudes.

    Par contre, je suis bien incapable de dire qui ils sont.

    Ils appartiennent, comme moi, à l'I.C.P.R. C'est-à-dire l'Institut de Conception et Perception de la Réalité. J'ignore le nombre exact de salariés qui travaillent pour l'organisme, qu'il s'agisse, comme c'est mon cas, de narrateurs-concepteurs, ou d'autres. Je sais que j'en fais partie. Et c'est bien suffisant, parfois...A d'autres moments, la source de mes ennuis jaillit très précisément du magma sombre de toutes ces incertitudes...

    C'est ma vie.

    Il semblerait qu'ils aient éprouvé certaines difficultés à trouver le décor idéal. Il n'y a pas de mouches, par exemple. Les ruines ne traduisent guère l'entassement et le chaos souhaités. Je m'y attendais quelque peu.

    Voici ce que j'avais tapé, très exactement, sur les touches du clavier de ma console :

    "Le soleil blanc cassait les ombres, comme s'il avait voulu les réduire en poudre, en faire une sorte de cendre épaisse pour étouffer les grésillements des insectes. Il n'y avait pas seulement des mouches, mais des centaines, des milliers d'autres bestioles invisibles, enterrées, narguant la lumière aveuglante. Des lézards verts et jaunes se coulaient sur les murs pétris de silence, par saccades, ou restaient immobiles comme des excroissances, des boursouflures de crépi écaillé ; leur gorge palpitait, ils ne faisaient que respirer rapidement. "

    Mot pour mot. C'était ma narration, mon texte, je m'en souviens fort bien. J'ai suffisamment travaillé sur cette dernière création pour que le moindre détail me reste en mémoire.

    Et je sais déjà qu'ils ont fait de cette réalisation quelque chose de froid... Froid comme la peau des lézards. Ils ont joué la distanciation. J'aurais préféré autre chose . Que passe davantage de crédibilité, de chaleur affective, précisément, une meilleure manipulation des affects, et pas simplement une image en deux dimensions noyée dans trop de lumière.

    Mais j'espère toujours autre chose que ce qui m'est donné à contrôler.

    Et c'est normal.

    "Ce qui m'est donné à contrôler..." L'expression n'est pas adaptée, le mot "contrôler" tout à fait impropre. Si je possédais réellement le pouvoir de contrôle sur le produit final, tout serait différent ; je ne veux pas dire "mieux", mais simplement différent. Je ne serais pas ce que je suis, ni qui je suis ni où je suis. Je serais quelqu'un d'autre, je serais autre chose qu'un narrateur-concepteur de première source. Je me situerais à un autre niveau , un plan décalé de la réalité.

    Si je possédais le contrôle final, il est également probable que le nombre de mes réalisations finies serait trop réduit. Je m'en tiens pas une comptabilité précise, mais je sais - je crois savoir - que plusieurs centaines de fractions de réalités sont mon œuvre, à mon niveau de concepteur. Plusieurs centaines, oui, dont il m'est difficile d'évaluer la durée globale, en mesure de temps de perception. J'en ai oublié beaucoup. Il me suffirait, si je le voulais, pour retrouver le souvenir, de pêcher une cassette et de visionner, ne fût-ce qu'en partie. Je possède au moins un enregistrement de chacune de mes créations. Mais non. En vérité, je n'éprouve ni le besoin ni la curiosité de me replonger dans certaines situations passées, tellement imparfaites. Je connais mes erreurs, mes fautes. Si je pouvais exercer le contrôle final de mon travail réalisé, certainement, plus de la moitié de mes conceptions ne seraient jamais devenues la réalité. Leur réalité. Une réalité.

    Ma réalité.

     

    Épigraphe

    Un jour, une histoire passera par là. Elle verra ce que nous voyons et ne comprenons pas, et elle nous racontera ce qui est vraiment arrivé.

     Que font les histoires quand elles ne sont pas racontées ? Se racontent-elles à elles-mêmes ? Elles se promènent de par le monde à la recherche de certains épisodes dont elles pourraient se nourrir.

     (Croyance des Indiens Crees.)

     

    Page créée le mardi 4 novembre 2003.